IV

LES NUAGES MONTENT


Françoise vit arriver un matin M. Popeland, dont elle ne se rappelait ni le nom ni la figure. Cet homme était bouleversé et marchait comme une boule lancée fortement.

— Où est exactement M. du Quesnoy, madame ? demanda-t-il de ce ton précipité qui éveille toujours quelque idée du tocsin.

Il était brutal et voulait en même temps être poli. Comme Françoise l’interrogeait des yeux, avec étonnement :

— Monsieur Popeland, madame, continua-t-il vivement. Niflart est parti !

Ce dernier mot : parti ! grondait comme une bombe.

— Niflart est parti ! répéta-t-il avec une colère tragique, voyant que Mme  du Quesnoy paraissait chercher ce qu’il voulait dire.

Alors Françoise eut l’intuition de ce qui pouvait être. Son mari, l’homme d’affaires et celui qui était là, stupide et gonflé de colère, mêlés dans des tripotages, quelque chose d’indigne, quelque écroulement déshonorant.

Popeland la vit devenir toute blanche, et elle demanda : « Où est-il ? » sans faire attention à ce qu’elle disait, répondant encore à ce qui vibrait à son oreille : « Niflart est parti ! »

— Eh ! il est où vont ses pareils ! répliqua Popeland qui tantôt s’asseyait, tantôt se levait, selon qu’il se rappelait ses devoirs de politesse où qu’il était entraîné par ses émotions.

— Et moi, ajouta-t-il, je suis sa victime et celle de votre mari ! Ils m’ont indignement floué, friponné.

Françoise osait à peine défendre Joachim.

— M. du Quesnoy ne friponne pas, monsieur ! dit-elle cependant d’un ton raide.

Mais au fond du cœur elle éprouvait une humiliation amère d’être toujours atteinte dans Joachim.

Popeland s’était écrié :

— Eh si ! madame, friponné ! c’est le mot. J’en suis pour près de quatre cent mille francs. Niflart a tout fait en notre nom. J’ai donné quatre-vingt mille francs pour votre mari. Il devait me faire obtenir une grande affaire au ministère. Je suis allé au ministère. Savez-vous ce qu’on m’a répondu ? Qu’on ne s’en était jamais occupé et qu’on ne s’en occuperait pas.

Il emmêlait tout :

— Ce coquin de Niflart m’avait entortillé en me disant que votre mari avait monté avec lui la grande spéculation sur laquelle je lui ai prêté trois cent mille francs. Tout est raflé. Un passif de deux millions. Le coquin est à Bruxelles, et moi, qui ai trois millions, j’ai failli être exécuté à la Bourse. Mais M. du Quesnoy rendra gorge pour lui. Quelle est son adresse au juste ?

— M. du Quesnoy est envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du roi de France près le prince de N…, membre de la Confédération germanique, dit-elle tout à coup avec un ton amer et en scandant les mots.

— Je le savais, reprit Popeland, un peu ébloui malgré sa colère par l’énumération de ce long titre.

Elle ajouta avec assez de vivacité :

— S’il vous doit, vous serez payé. D’ailleurs je lui écrirai moi-même. S’il vous doit, vous serez payé, répéta-t-elle en appuyant et d’un air qui dompta Popeland.

Il s’essuya le front, tourna son chapeau dans ses main, gêné de tout ce qu’il avait dit :

— Ah ! madame, dans quel siècle vivons-nous ! trouva-t-il.

— Mais, demanda Mme  du Quesnoy qui réfléchissait, est-ce que cet homme, ce Niflart, n’avait pas gagné de l’argent, il y a peu de temps ?

— Il nous l’avait fait croire, et il n’en est que plus coquin.

— Quand donc est-il parti ?

— Avant-hier, madame, avant-hier, s’écria Popeland d’une façon lugubre. Je l’ai appris hier par une lettre d’agent de change qui me réclamait d’énormes différences à payer. Ce gueux, au lieu d’employer notre argent à établir une maison de banque comme on en était convenu, s’en servait pour jouer à la Bourse, en notre nom, en notre nom, madame, quoiqu’il lui fût interdit toute opération de ce genre. Oh ! si jamais il me retombe sous la main… Qui s’en serait défié, il avait l’air si aimable, c’était un si bon ami ! Ah ! madame, comme on a tort d’avoir de la confiance. Et comme il savait vous prendre à sa glu. C’étaient des affaires merveilleuses, qui ne pouvaient pas échouer. Il vous parlait deux heures de suite. On ne savait quelle objection lui faire, il les renversait toutes. Et il était si convaincu ; il vous faisait croire ce qu’il voulait. Oh. le coquin, le coquin. Mais c’est égal, votre mari n’a pas bien agi non plus. Un ambassadeur ! je ne l’aurais jamais cru. Jugez donc, madame, quatre-vingt mille francs, c’était un joli pot de vin, et pour se moquer de nous Ce n’est pas bien, non, ce n’est pas bien. C’était encore Niflart qui m’avait monté la tête pour cette affaire de chemin de fer. Oh ! le scélérat.

Popeland avait l’air si désolé que Françoise ne voulut point le maltraiter.

— La justice n’interviendra-t-elle pas ? demanda Mme  du Quesnoy, qui voyait déjà son nom compromis, livré au public.

— Eh ! dit Popeland, le renard a quitté son terrier après avoir plumé les poules ; la justice ne nous rendra pas notre argent.

— Est-ce qu’il y a plusieurs personnes englobées dans cette affaire ?

— Mais certainement, madame, certainement, une dizaine de malheureux, de sots comme moi.

— Je ne sais pas du tout quelles étaient les relations de M. du Quesnoy avec ce Niflart. Popeland secoua la tête, comme s’il voulait dire : « Oh ! pas fort claires, vous le savez bien. »

Françoise eut un mouvement de colère.

— Eh monsieur, il me semble singulier de vous voir crier ainsi contre M. du Quesnoy avant que rien n’ait encore été éclairci et réglé. Et je vous engage à vous en abstenir. En son absence, vous me forceriez à charger quelqu’un de la famille de vous modérer un peu.

Popeland fut effrayé ; mais persuadé de la complicité de Joachim avec Niflart, il se rebiffa pourtant :

— Comment, madame, lorsqu’on a été joué, on ne peut réclamer et dire son opinion !

— Je vous ai dit, monsieur, que M. du Quesnoy paiera tout ce qu’il peut devoir, par conséquent M. du Quesnoy ne trompe et ne joue personne.

— Bien, madame, bien répliqua Popeland n’osant exprimer qu’il pensait ceci : qui m’en assure ? Je préférerais un engagement de M. du Quesnoy lui-même.

Néanmoins, après un court silence, il prit sur lui de montrer ses doutes :

Si M. du Quesnoy voulait me l’écrire, dit-il.

– Aussitôt que M. du Quesnoy m’aura répondu, notre notaire s’entendra avec vous, monsieur.

— Très bien, madame répondit Popeland tout à fait ramené, mais si j’ai été un peu vif, comprenez qu’on ne doit pas être dans son assiette après une secousse comme celle-là. Voici mon adresse, pour le cas où vous auriez quelque chose de nouveau à me faire savoir.

Il déposa sa carte sur une table ; puis, revenu à ses sentiments de parfait chevalier français, il voulut, en partant, prendre la main de Françoise pour la baiser.

M. Popeland s’en alla en se dandinant, il avait retrouvé son air heureux et sot presque tout entier.

N’ayant que les renseignements fort incomplets de cet homme et ses accusations contre Joachim, Françoise s’exagérait la part prise par celui-ci aux affaires de Niflart. Sa résolution avait été arrêtée immédiatement ; le nom de du Quesnoy, tant qu’il serait malheureusement à elle, n’aurait aucune tache. Elle était décidée à sacrifier toute sa fortune personnelle pour payer les dettes de Joachim, et songea même à prendre en main la direction de la conduite de son mari, lorsque, ruiné, il serait forcé d’avoir recours à elle. Et ces nouveaux actes à accomplir, l’énergie dont il fallait faire provision, le retour de son mari, des desseins fermes et radicaux lui rendaient tout son ressort. La guerre allait probablement venir, mais elle était bienvenue. Les accablantes oppressions de la vie amoureuse feraient place à des mouvements enfin actifs.

Dans la journée, il vint plusieurs lettres à l’adresse de Joachim. Mme  du Quesnoy pensa qu’elles devaient avoir trait à l’aventure de Niflart, elle les lui envoya accompagnées de ces mots :

« Votre homme d’affaires ou votre associé qui s’appelle Niflart est en fuite depuis deux jours. Un M. Popeland est venu pour vous réclamer quatre-vingt mille francs. Écrivez-moi la situation exacte. Quoi qu’il en soit, tout doit être payé. J’y suis absolument résolue. Je n’ai pas de détails, mais les lettres ci-jointes vous renseigneront probablement. Si vous pouvez revenir, je crois que vous ferez bien de ne pas trop différer. »

À N…, Joachim vivait dans un tourbillon d’ivresses. L’esprit de la France, l’expérience parisienne avaient produit un grand effet dans la petite cour. Le prince ne voulait plus le quitter.

Ils en étaient arrivés à ce point d’intimité, qu’après avoir présenté Mme  d’Archeranges à la cour, Joachim avait avoué au souverain sa faiblesse pour Rose. Le prince était même venu deux ou trois fois incognito dîner au chalet avec eux, ce qui avait tourné complétement la tête à Mme  d’Archeranges.

Lorsque le volumineux paquet de correspondance expédié par Françoise arriva à M. du Quesnoy, celui-ci se réveillait d’une nuit enchantée.

Il y avait eu la veille, à la cour de N…, une grande fête, la fête du prince, et jamais le succès de Joachim ne fut si grand. Tout le monde était sous le charme de sa conversation et de son attitude. Il avait été abreuvé, noyé des compliments les plus flatteurs. Le prince devait écrire au roi de France personnellement toute la satisfaction que lui avait causée son envoyé. Un mot aimable dit par M. du Quesnoy semblait être aussi recherché qu’une parole du souverain. On avait déterré la pièce faite jadis par lui, et on lui avait fait la surprise de la jouer au théâtre du château, au milieu d’applaudissements enthousiastes. Il avait en reconnaissance improvisé un quatrain assez heureux sur les qualités du prince. Présenté à l’ambassadeur de Russie à Vienne, qui était venu à N… à l’occasion de cette fête, il s’était aperçu qu’il avait plu à cet homme d’État important. Il était rentré chez lui triomphant. Le monde lui appartenait. Il espérait devenir ministre des affaires étrangères, si le sort continuait à le seconder aussi bien.

Pourtant l’aspect de la grande enveloppe avec l’adresse mise de la main de Françoise, l’épaisseur du paquet le troublèrent, quand le matin, à onze heures, on le lui remit.

À la première ligne, le froid courut dans ses veines.

Il continua à lire, ne comprit pas bien et se jeta sur les autres lettres. Elles étaient de divers agents de change qui, ensemble, lui réclamaient quatre cent mille francs. De toutes résultait à peu près la même chose « Niflart jouait pour le compte de Joachim et, ayant perdu, avait disparu, et c’était à son mandant qu’on s’adressait. »

Et tandis que ces chiffres s’imprimaient dans son cerveau avec des pointes aiguës, il lui semblait que le bruit d’un écroulement roulait à son oreille avec le fracas d’une cataracte, et qu’il tombait à il ne savait quelle profondeur.

Un moment il regarda autour de lui, et fut presque étonné de se voir dans son cabinet. Ses meubles dorés l’entouraient encore, son costume et son épée étaient posés à côté de lui sur une chaise. Était-il donc vrai qu’il fût ruiné ? D’où sortait-il ? Était-il bien ambassadeur à N… ? Était-il bien chez lui ?

Il reprit ses sens, et d’un mouvement de rage il jeta à terre ces misérables papiers, messagers de ruine. Ensuite il les ramassa et les relut mot par mot.

Il se rendit bien compte du désastre et resta navré, écrasé, la tête dans ses mains. Il regardait tant de débris faits autour de lui. Comme des objets précieux qu’un maladroit a brisés, ses projets gisaient à terre. Fracassé, le grand espoir de parvenir au pouvoir ; en morceaux, l’espoir des richesses ; broyés en poussière, efforts, habileté, confiance en soi-même ! Et tous ses rivaux, tous ses ennemis, tous ses amis se pressaient à l’entour avec une joie insultante, criant : du Quesnoy est ruiné, du Quesnoy est perdu ; c’était un fanfaron, un imbécile, foulons-le aux pieds, ce n’est plus qu’un mendiant !

Il lut encore toutes les lettres. Il faudrait payer une grande somme : où la trouver ? Et les bruits qui devaient courir, et la déconsidération qui en résultait On avait beau se raidir, cela était terrible. Il recevait un des plus grands coups auxquels un homme pût être exposé. Il n’avait pas de bonheur. Il était à plaindre. Et qui le consolerait ? Il reprit la lettre de sa femme. Pas un mot de consolation. Elle était froide, dure, impérieuse. Un malheur capable d’émouvoir le premier venu si on le lui racontait, ne touchait point cette femme.

Toute sa rancune contre elle revint. Il la détesta. Eh oui, c’était bien parce qu’elle avait des amants comme on l’en accusait, qu’elle s’inquiétait si peu des calamités qui affligeaient son mari. Le mari, cependant ! l’homme étroitement lié à sa destinée, celui dont la fortune, le succès, le bonheur, sont après tout la fortune, le succès, le bonheur de la femme ! À Paris, il l’en ferait repentir. Il se mit à son bureau et écrivit : « Ma mission étant à peu près terminée, je demande immédiatement un congé ou mon rappel. Dans très peu de jours, je serai à Paris. »

La demande de rappel fut faite aussitôt. Enfin il envisagea plus froidement les moyens de restauration qui lui restaient. Le vicomte Ballot lui prêterait l’argent nécessaire à payer le découvert. Le crédit de la baronne continuerait à le suivre. Sa marche ne serait que retardée. Ces quelques centaines de mille francs perdus ne devaient pas l’entraver !

Joachim alla chez Rose.

Mme  d’Archeranges dormait encore. Il la fit réveiller, mais elle ne voulut pas le recevoir, le remettant à un peu plus tard.

Mécontent, et voulant échapper aux débats fatigants qui se livraient dans sa pensée, Joachim monta à cheval et galopa furieusement.

Dans sa course, il voyait un emblème de son avenir. Il passerait à travers les difficultés comme son cheval passait à travers la campagne.

Il revint auprès de Rose, un peu rasséréné et bien convaincu qu’elle allait pousser de grands cris de compassion et d’admiration à la nouvelle de son malheur et en voyant comment il le portait.

— Vous avez été bien dure de ne pas me recevoir…, dit-il.

— Et vous de me réveiller…

— La chose en valait la peine. Je viens d’apprendre la nouvelle que je suis ruiné !

Malgré le stoïcisme qu’il affectait, ce mot lui donnait un frisson. Quand la catastrophe s’étalait devant lui, il avait de la peine à entrevoir qu’elle ne fût pas irréparable ; il lui paraissait presque impossible de relever tant de débris et de reconstruire l’édifice abattu.

Mme  d’Archeranges, qui examinait des toilettes qui arrivaient de Paris, répéta comme un écho :

— Ruiné ! tout à fait ruiné ? Ah ! c’est bien ennuyeux, cela !

Mais elle n’interrompit pas son travail.

Cette indifférence découragea Joachim et lui rendit plus lourde, plus sinistre, l’idée de la perte irréparable. Il regarda Rose en silence d’un air douloureux. Elle se retourna vers lui, étonnée qu’il se tût.

— Quel drôle d’air vous avez, dit-elle.

— Vous ne m’avez probablement pas entendu, reprit-il d’un ton amer et cassant.

— Mais si, parfaitement. Eh bien, qu’allez-vous faire ?

— Retourner à Paris.

— Tout de suite ? Me laisserez-vous la voiture et les chevaux ?

— Je laisserai tout !

Il haussa les épaules.

— Est-ce que vous quitterez la diplomatie ?

— Non, je vais prendre congé du prince plus tôt que je ne comptais, voilà tout !

— Il y a grand dîner encore aujourd’hui. Je me préparais, dit-elle, en montrant ses toilettes de la main.

Il tourna la tête vers la fenêtre, indigné, se retirant de l’entretien.

— Ruiné, c’est terrible ajouta Rose en secouant une dentelle, votre femme va probablement être enchantée !

Les doigts de Joachim se crispèrent. Il haussa de nouveau les épaules sans cesser de tourner la tête.

— Voyons, reprit-elle en s’approchant et après avoir repoussé les étoffes, en personne qui renonce avec peine à ses plus chères préoccupations, comment cela vous est-il arrivé ?

— Vous prenez tant d’intérêt à moi qu’il est bien inutile de vous le dire. Je vous ennuierais !

— Non, je terminais ma revue. Cette couturière ne me contente pas trop. Je suis toute à vous.

— Et moi je ne suis pas à vous. Je vous connais maintenant, vous êtes d’une froideur odieuse, vous vous êtes servi de moi pour venir faire vos coquetteries ici. J’ai vu tous vos manèges.

— Oh ! c’est vous qui m’y avez appelée. Tantôt vous venez m’étourdir de vos supériorités et de vos grandeurs futures, maintenant vous venez geindre, et il faut toujours être à votre température.

Eh bien, si vous êtes ruiné, vous serez un peu moins vain de vos mérites.

— Ah ! vous êtes à la température de ma fortune ! dit-il avec colère.

— Eh ! mon cher ami, que voulez-vous que me fasse votre fortune ? J’ai la mienne. Je puis me passer de vos bontés, croyez-le. Vous n’êtes ni aimable, ni tendre. Vous êtes rarement amusant. Je suis un ange de patience avec vous ! Vous ne pouvez pourtant prétendre à ce que je sois attachée après vous, et passive et impersonnelle comme la doublure de votre habit.

— Ah ! dit-il, je vois le premier exemple de ce qui m’arriverait.

Il pensait qu’on l’abandonnerait et qu’on lui tournerait le dos, s’il demeurait un homme ruiné et terrassé.

Il partit vivement sans ajouter rien de plus.

— Restez donc, Joachim, lui cria Rose ayant quelque remords d’avoir montré si peu de pitié et d’intérêt.

Il sortit de là, exaspéré contre elle, contre Françoise, contre Niflart, contre tout et tout le monde.

— Il faudrait n’exister que par et pour lui, se disait Rose. Sa ruine ! sa ruine, pauvre homme, va le rendre tout à fait ennuyeux. En aurons-nous pour bien longtemps ensemble ? je ne le crois pas. Pourtant il a été charmant à une époque, et ici ils le prônent tellement ! Mais pourquoi me tracasse-t-il de ses affaires personnelles ? Pourvu qu’il ne me demande rien, je ne suis pas riche ! Comment sa femme va-t-elle le traiter maintenant ? Si Laure était adroite, elle les exciterait l’un contre l’autre, bien davantage à présent. Il ne m’a point dédommagée de l’avanie que j’ai reçue, sa ruine est une punition. Il a peur de sa femme ; s’il pouvait la ruiner ! Je vais retourner à Paris en même temps que lui. Nous trouverons enfin une bonne occasion.

Les moyens de vengeance, hors la calomnie, les accusations, ne sont pas très faciles à trouver. Rose était toujours obligée de s’en remettre à l’avenir.

Elle se promit d’apaiser Joachim.

Ces heurts de leurs deux personnalités étaient assez fréquents. Mais le plaisir, une pareille facilité de doctrines, la vanité, et les rancunes de Rose contre Françoise, les réconciliaient toujours.

Ils se retrouvèrent au château à dîner. Mme  d’Archeranges, dont la position d’étrangère rendait trop voyante la liaison avec M. du Quesnoy, avait été, au commencement, assez embarrassée de son attitude à N… Aussi s’était-elle attachée à capter les bonnes grâces d’une vieille dame de la petite cour, qu’elle avait un peu connue à Paris, et à s’en faire patronner, ce qui lui permettait de n’arriver pas seule chez le prince.

Joachim annonça son prochain départ à celui-ci qui le regretta beaucoup. Il parut d’ailleurs gai, calme et aimable, comme la veille. Rose seule reconnaissait combien il se forçait, à d’imperceptibles frémissements de son visage.

Elle put le prendre à l’écart, un moment dans la soirée, et lui dit d’un ton pénétré : Vous devez bien souffrir ?

Il voulait passer outre et ne pas l’écouter. Elle le retint un peu :

— J’ai pensé à vous toute la journée. Je vous demande pardon, mon ami, de ma réception de ce matin. Je ne sais où j’avais la tête. J’en ai été bien affligée ensuite. Vous n’auriez pas dû vous en irriter ; vous connaissez les folies involontaires de mon esprit.

— Soit ! répondit-il avec un sourire froid.

— Vos résolutions sont-elles toujours les mêmes ?

— Oui.

— Et vous ne pouvez rien sauver du naufrage ?

— Non.

— Mais la fortune de votre femme vous reste.

— C’est la sienne ! dit d’un ton noble Joachim, qui ne pensait pas qu’il y eût la moindre ressource du côté de Françoise.

— Elle ne fera rien pour vous, en effet, ajouta Rose. Ah ! je partirai avec vous. Vous m’êtes plus cher que jamais.

Cette sorte de cri du cœur qu’elle jeta bien ne toucha pas Joachim, comme il eût fait le matin. En se voyant dans le salon tout illuminé, en se voyant encore important, considéré, puissant, il lui semblait que rien n’était changé dans sa situation.

Il inclina la tête en signe de remercîment.

Croyant tomber juste, elle reprit : Mon pauvre ami, cette fête, ce monde joyeux, doivent vous paraître si importuns.

— Et pourquoi donc ? répliqua-t-il avec une espèce de superbe.

Mais Rose lui plut, en reprenant :

— Vous avez un front de bronze, rien ne l’altère !

Il sourit presque joyeusement.

— Vous verrai-je demain ? lui demanda Rose, le laissant.

Il l’en assura et alla se mêler aux conversations avec un entrain tout de surexcitation et de volonté.

Mais chez lui, seul à deux heures du matin, devant sa lampe qui éclairait de toute sa lueur les cruelles lettres dépliées à côté les unes des autres, et qui jetait de grandes ombres dans tout le reste de la pièce, de grandes ombres pareilles à de noirs personnages à attitude inquiétante, Joachim se sentit désarme de toute force pendant un moment.

Puis les combinaisons pour remonter à flot revinrent à son esprit. Il avait encore l’affaire Popeland parmi ses ressources.

La baronne Guyons reviendrait à la charge auprès du ministère, il l’y pousserait en dépit d’elle-même, il saurait entraîner aussi le vicomte Ballot.

Il trouverait bien de plus le moyen de réunir, de ressaisir dix, quinze, vingt mille francs. Il en avait trois mille dans son secrétaire, il les compta et les mit sur sa table. À la prochaine échéance de fermages et de rentes de sa femme, il toucherait près de quinze mille francs. Telles gens lui devaient qui mille, qui quinze cents francs depuis longtemps il irait battre le rappel d’une restitution chez tous.

Et en un mois, à la Bourse, on pouvait doubler la somme ainsi amassée, en deux mois la quadrupler, en trois… il prit la plume et fit des chiffres interminables… Il y avait des systèmes presque sûrs pour gagner à la Bourse. Avec un esprit fin et sagace surtout ! Et puis, on pouvait tenter la chance de Bade encore !

Et quand le gain acquis d’une façon ou de l’autre serait raisonnable : cent cinquante, deux cent mille francs par exemple, on renoncerait à ces aléas et on entrerait dans une voie de bénéfices plus sûre, plus légitime, en lançant ses fonds dans quelqu’une de ces opérations commerciales d’outre-mer où l’on réalise parfois de fabuleux bonis.

Eh oui ! Il y avait cent façons de se tirer d’affaire ! Il jeta sa plume en l’air, comme un maréchal qui lance son bâton de commandement dans les lignes ennemies, et, la tête empourprée, les artères battantes, le pouls bondissant, la poitrine gonflée, il alla s’étendre sur son lit.

À peine dormit-il. Partir, partir ! arriver là-bas, nouer les premiers fils de la trame, voir lever l’aurore de ce beau temps nouveau, entendre le son, le délicieux froissement des premiers billets de banque reconquis !

Il dut attendre cinq jours la réponse du ministère. Si elle avait tardé un jour ou deux encore, il serait parti ! La nécessité de ne pas compromettre sa position aux affaires étrangères en quittant irrégulièrement son poste, le retint ; mais il comptait désespérément les heures dont chacune aggravait son mal financier, dissolvait le reste de son crédit, réduisait ses chances de restauration.

Il passa ces cinq jours presque tout entiers auprès de Mme  d’Archeranges qui n’était pas toujours à l’unisson avec lui, et oubliait parfois qu’elle avait affaire à un homme absorbé et impatient. Cependant, dans une de leurs conversations :

— Votre femme abusera de votre ruine, et le M. Allart s’en trouvera mieux, lui dit-elle, ne lâchant jamais sa rancune.

— Oh, je… s’écria-t-il, en s’interrompant aussitôt par un geste violent, je ne suis pas ruiné encore !

Alors il se plaignit de Françoise à Rose, comme jamais il ne l’avait fait.

Sa femme était son mauvais génie, le persécutait, le trahissait. Directement ou indirectement elle était la cause de tous ses maux. S’il s’était fié à Niflart, c’est qu’elle lui avait enlevé toute netteté d’esprit, tout pouvoir de réflexion. Il maudissait la folie du mariage.

— Cependant, dit doucereusement Rose, vous comptiez faire une bonne affaire en l’épousant.

— Est-ce que l’argent est tout ?

Il parla de son cœur, de son honneur, de toutes ses propres qualités, de l’injustice providentielle.

Et Rose, revenant toujours à son delenda Carthago, lui glissa :

— Tandis que vous êtes si tourmenté, elle se divertit avec l’Allart.

Joachim laissa tomber d’un grand coup ses deux mains sur ses genoux.

— Si cela est, elle le paiera cher, cria-t-il. Très cher ! murmura-t-il ensuite entre ses dents.

— Oh, qu’y pourrez-vous faire ? risqua Rose.

— Comment, qu’y puis-je faire ? demanda-t-il furieux, en se soulevant à moitié.

Et il ajouta avec plus de calme, mais d’une façon sinistre : ce que tout homme de cœur doit faire !…

— Une séparation ? dit Rose, comme une amie qui discute affectueusement.

Elle l’effraya soudainement en lui montrant qu’on pouvait aller aussi loin. Une séparation ! perdre l’appui de cette fortune et celui de la baronne. Il avait pensé à un duel, mais l’autre combinaison était bien grave !

— Vous me bourrelez, dit-il.

Rose ne voulut pas le fâcher. Elle essaya de lui faire un tableau du bonheur, des délicates attentions qu’elle saurait tirer pour lui de sa ruine, et elle finit par ramener un peu de sourire sur le visage de Joachim.

M. du Quesnoy ne tarda point à recevoir ses lettres de rappel, pria le prince de lui permettre d’en donner notification le jour même, et enfin il se jeta dans le chemin de fer, prenant à peine le temps de dire adieu à Mme  d’Archeranges.

Du reste, Françoise avait presque hâte que son mari reparût. Le repos n’allait point à son âme. Le retour de Joachim devait fort troubler les habitudes de voir Allart qu’elle s’était faites ; néanmoins, munie de forces nouvelles, elle était curieuse d’en tenter l’épreuve sur son mari. Une pensée, la moins nette et la plus forte à la fois de celles qui la conduisaient, l’aiguillonnait. Elle prendrait contre lui les représailles des tourments de la vertu. Il expierait le serment qu’elle était tenue de garder envers lui.

Mme  du Quesnoy prévint Allart.

— Il revient dans peu de jours, lui dit-elle d’un air grave, craignant que cette nouvelle ne le consternât ou ne le mît hors de lui.

Il ne répondit pas tout de suite. Sa figure devint sombre, puis s’éclaircit, mais en gardant quelque peu de contraction.

Il arrêta sur Françoise des yeux résolus.

— Rien ne nous séparera, ma chère amie, ma chère enfant, lui dit-il.

— Oh ! Philippe, s’écria-t-elle en venant tomber sur son épaule et en pleurant tout à coup.

Elle qui avait pensé bien moins que lui qu’ils pouvaient être séparés, venait d’entrevoir toutes les douleurs de la séparation.

— Eh bien, lui demanda Allart, pourquoi pleurez-vous ?

— Oh ! si nous n’allions plus nous revoir, dit-elle.

— Et pourquoi voulez-vous que nous ne nous revoyions plus ? Nous nous reverrons partout, chez les gens que nous connaissons, chez Mlle  Guay, ici.

Il lui parlait comme à un enfant. Elle adorait ce ton tendre et viril. Elle fut rassurée aussitôt.

Elle n’avait jamais craint Joachim, et avec l’appui d’un homme comme Allart elle se sentait si forte !

Il l’effraya cependant encore un peu. Toujours attentif pour elle, il lui dit : Seulement, brûlez mes lettres, un hasard pourrait les livrer.

— Oh ! dit-elle avec une sorte de plainte, pensant à la perte du trésor. Et elle ajouta :

— Vous ne m’écrirez donc plus ?

— Je vous écrirai chez Mlle  Guay. Aussitôt qu’il sera revenu, vous me ferez prévenir par elle et vous me donnerez rendez-vous chez elle.

Françoise réfléchit. Il lui sembla qu’elle devait réellement recevoir maintenant le prix de sa conduite honorable. Elle n’avait pas manqué à son devoir, donc qu’avait-elle à cacher, pourquoi reculerait-elle devant son mari ? Allart était un honnête homme, un être à mille pieds au-dessus de l’autre et cet honnête homme serait banni de la maison du vicieux, de celui dont l’honneur n’existait plus ! Mais le commerce d’Allart était une insigne faveur pour M. du Quesnoy, et si celui-ci avait quelque chance de se relever, où la trouverait-il mieux que dans l’exemple et la fréquentation d’Allart ?

Un instant elle rêva de ces combinaisons comme les femmes avant d’avoir de l’âge et beaucoup d’expérience en imaginent souvent. C’était singulier, ridicule, et après tout généreux. Allart et elle corrigeraient, réformeraient Joachim et en feraient un homme comme il aurait dû être.

Du reste, elle s’apercut bien vite de l’étrangeté de cette invention, mais ce qu’elle voulait, c’est qu’Allart ne fût pas repoussé de chez elle.

Allart n’avait point outragé cette maison, qui donc oserait la lui interdire ?

C’était elle maintenant qui le dépassait en résolution, allant même jusqu’à l’audace.

— Vous pouvez bien continuer à venir me voir, dit-elle.

— C’est à quoi je pense, répondit Allart.

— Il vous connaît.

— Je puis lui faire une visite, reprit-il. Mais il avait devant les yeux Joachim en face de lui avec une épée !… Quelle singulière visite ce serait !

Une même idée les arrêta tous deux. Ils auraient à se contraindre devant lui, à dissimuler.

Ils le tromperaient ! Que devenait leur culte à la loyauté ?

Mais l’éternel sophisme du désir et de l’orgueil répondit sur-le-champ : Non, il n’est pas trompé. Il n’est point admis à l’association d’esprits supérieurs, d’âmes plus hautes, de cœurs plus nobles, voilà tout.

Ce salon était devenu comme le témoin obligé de leurs réunions. Ils eussent été dépaysés ailleurs. Et puis c’était se déclarer coupables que de battre en retraite et reconnaître un droit à Joachim. Or ils n’étaient pas coupables.

— Nous nous verrons chez Charlotte pour nous dire ce que nous ne voudrons pas qui soit entendu, reprit Allart.

— Et d’ailleurs qu’y aura-t-il de changé entre nous ? Ne savez-vous pas qu’il se sentirait mal à l’aise dans notre région d’idées et qu’il ne sera jamais avec nous, ajouta Françoise. Et, grâce à Dieu, nous n’avons rien à nous reprocher, continua-t-elle du ton qui témoigne que l’on s’agite contre de secrètes objections.

— Et cependant, dit Allart, que pensera-t-il de me voir introduit ici depuis son absence ? Ne nous soupçonnera-t-il pas ?

— Soupçonner, s’écria Françoise, soupçonner ! et quoi ? que soupçonnerait-il ? Il n’en a pas le droit. Je suis, je veux être libre de vous aimer. Oui, mon esprit est libre. Nous avons été assez forts, assez courageux, reprit-elle plus bas, pour avoir gagné de ne rien craindre. Vous me l’avez dit vous-même, Philippe, rien ne nous séparera.

— Si je ne craignais de grands tourments pour vous… commença Allart, l’œil fixe comme s’il regardait en avant, dans l’avenir.

— Oh ! ma vie en a toujours été faite, interrompit vivement Françoise. Je ne les redoute pas, ne vous en inquiétez point.

Allart était soucieux, assombri.

La sécurité que voulait se donner Françoise, il ne pouvait l’avoir.

— Il serait pourtant plus prudent, dit-il d’un ton presque sourd, de ne nous voir que chez Charlotte. Vous pouvez bien sortir tous les jours…

— Mais Charlotte sera toujours avec nous, ou bien nous la chasserons de chez elle. Si nous nous cachons, on peut tout croire, dit-elle avec une sorte de dépit plaintif.

— Et croyez-vous que je puisse être constamment ici, et qu’il supposera que c’est ma sympathie pour lui qui m’amène ?

Elle le regarda avec découragement, se disant : Nous n’aurons donc plus ces belles, ces bonnes heures que nous passions ici. Il ne s’assoira plus près de moi, devant cette table !

— Mais vous ne savez pas, s’écria-t-elle, que ce n’est plus un homme, et qu’à l’heure qu’il est, il a peut-être volé !…

— Comment, volé, dit Allart avec stupeur.

— Oui, il est venu ici je ne sais qui, un être qui l’accuse de friponnerie. Un autre malheureux, avec lequel il était très lié, s’est enfui en dépouillant beaucoup de monde. Je ne sais pas au juste ce qui en est, mais je tremble : il était mêle à ces affaires. Je suis accablée de honte. Je ne voulais pas vous en parler. Et voilà l’homme devant lequel nous serions forcés de voiler dans l’ombre ce qu’il y a de plus avouable au monde peut-être, une amitié comme la nôtre !

Son esprit allait vite, fiévreux, excité.

— Vous ne pouvez pourtant cesser de venir, continua-t-elle. On sait que vous veniez. Je le lui dirai d’ailleurs. Jamais je ne lui ai caché mes sentiments quand les choses me paraissaient justes. Je lui dirai que j’ai de l’affection pour vous, et…

— Que nous sommes des amants vertueux ; interrompit Allart avec la plus âpre ironie, et il n’hésitera pas à vous croire !…

Françoise s’arrêta court, troublée, presque atterrée. Puis elle fit un effort.

— Eh bien, nous nous verrons chez Charlotte, dit-elle avec un soupir de résignation.

Allart réfléchit, avec une figure dure, raidie.

— Je viendrai néanmoins plusieurs fois ici, reprit-il.

Il faut, avait-il pensé, que je vienne voir comment il agit avec elle, que je le surveille. Et puis, s’il survient quelque heurt, nous en terminerons. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons en terminer. Cet homme verra bien que je l’ai en aversion. Et de nouveau il sentait, il voyait M. du Quesnoy, debout, armé. Il le voyait aussi dans ce salon, il le voyait encore dans la chambre de Françoise.

— Ah ! s’écria-t-il violemment, votre vie n’est pas à moi ! Combien de temps faudra-t-il donc le supporter ?

Ils semblèrent n’oser rien ajouter ni l’un ni l’autre.

Allart partit de là comme un homme qui a fait une grande chute, n’a rien de brisé et pourtant se sent entièrement défait, désarticulé. Il fit tout cependant pour rasséréner Françoise avant de la quitter.

Puis chaque jour il vint demander à Mme  du Quesnoy : Quand arrive-t-il, avez-vous des nouvelles ?

Elle-même attendait avec un profond malaise.

Lorsqu’elle songeait au cortège d’affaires, de préoccupations d’argent qu’allait amener Joachim, elle se le reprochait comme une injustice faite à Allart. Cependant elle ne pouvait s’empêcher de réfléchir longuement aux méfaits probables de M. du Quesnoy. Elle cherchait à deviner quel genre de vilenies il devait avoir commises et jusqu’où il les avait poussées.

Mlle  Guay avait accédé avec son enthousiasme habituel au projet de donner asile aux deux amants dérangés dans leur nid.

Allart eut pendant ce court intervalle la visite de Charles de Bertiny. Celui-ci partait pour Brest où il s’embarquait. Après un voyage au-delà de l’équateur, il reviendrait concourir pour le grade d’aspirant de marine. Il chargea Allart de faire ses adieux à Mme  du Quesnoy qu’il ne voulait pas revoir avant d’être devenu homme.

Il n’avait point non plus revu sa sœur, se bornant à lui faire demander, par l’entremise de son ancien précepteur, tous les papiers ou les autorisations dont il eut besoin pour régulariser son embarquement. Le bâtiment marchand qui l’emmenait traversait les parages où stationnait un navire commandé par M. d’Archeranges, et Charles espérait rencontrer son beau-frère.

Allart, après avoir dit ce départ à Françoise, lui apprit brièvement ce qui s’était passé entre Charles et M. du Quesnoy.

— Oh ! quel homme, s’écria-t-elle indignée.

Elle voyait la délicatesse, l’honneur, tout ce qu’il y a de beau et de noble à la merci de la force brutale et vicieuse, la plus odieuse de toutes. Ne lui en arriverait-il pas autant, à elle ? Son mari lui apparaissait sous un aspect redoutable tout nouveau.

— C’est épouvantable ! Ce pauvre enfant est un héros.

Elle pensa alors pour la première fois à une lutte entre Joachim et Philippe. Mais Philippe était un homme énergique.

Une espèce de désir de voir infliger à Joachim la peine du talion la saisissait et l’inquiétait en même temps comme une mauvaise pensée.

Mais c’étaient de rapides sensations remplacées bientôt par d’autres.