Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXVIII

CHAPITRE LXVIII.


Comment le comte de Foix, le captal de Buch et le duc d’Orléans déconfirent les Jacques, et puis mirent le feu en la ville de Meaux.


Quand ces nobles dames, qui étoient herbergées au marché de Meaux, qui est assez fort, mais qu’il soit gardé et défendu, car la rivière de Marne l’avironne, virent si grand’quantité de gens accourir et venir sur elles, si furent moult ébahies et effrayées ; mais le comte de Foix et le captal de Buch et leurs routes, qui jà étoient tous armés, se rangèrent sur le marché, et vinrent à la porte du marché et firent ouvrir tout arrière ; et puis se mirent au devant de ces vilains, noirs et petits et très mal armés, et la bannière du comte de Foix et celle du duc d’Orléans et le pennon du captal, et les glaives et les épées en leurs mains, et bien appareillés d’eux défendre et de garder le marché. Quand ces méchans gens les virent ainsi ordonnés, combien qu’ils n’étoient mie grand’foison encontre eux, si ne furent mie si forcenés que devant ; mais se commencèrent les premiers à reculer et les gentilshommes à eux poursuivir et à lancer sur eux de leurs lances et de leurs épées et eux abattre. Adonc ceux qui étoient devant et qui sentoient les horions, ou qui les redoutoient à avoir, reculoient de hideur tant à une fois qu’ils chéoient l’un sur l’autre. Adonc issirent toutes manières de gens d’armes hors des barrières et gagnèrent tantôt la place, et se boutèrent entre ces méchans gens. Si les abattoient à grands monceaux et tuoient ainsi que bêtes ; et les reboutèrent tous hors de la ville, que oncques en nul d’eux n’y eut ordonnance ni conroy ; et en tuèrent tant qu’ils en étoient tous lassés et tannés ; et les faisoient saillir en la rivière de Marne. Finablement ils en tuèrent ce jour[1] et mirent à fin plus de sept mille : ni jà n’en fût nul échappé, si ils les eussent voulu chasser plus avant. Et quand les gentilshommes retournèrent, ils boutèrent le feu en la désordonnée ville de Meaux et l’ardirent toute et tous les vilains du bourg qu’ils purent dedans enclorre. Depuis cette déconfiture qui fut faite à Meaux, ne se rassemblèrent-ils nulle part ; car le jeune sire de Coucy, qui s’appeloit messire Enguerrand, avoit grand’foison de gentilshommes avec lui, qui les mettoient à fin partout où ils les trouvoient, sans pitié et sans merci.

  1. Les Chroniques de France fixent la date de cet événement au samedi 9 juin.