Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 378-379).

CHAPITRE LXIX.


Comment le duc de Normandie assiégea Paris par devers Saint-Antoine ; et comment le roi de Navarre se partit de Paris et s’en alla à Saint-Denis.


Assez tôt après celle avenue[1], le duc de Normandie assembla tous les nobles et gentilshommes qu’il put avoir, tant du royaume que de l’Empire, parmi leurs soudées payant ; et étoient bien sept mille lances[2]. Et s’en vint assiéger Paris par devers Saint-Antoine contre val la rivière de Seine. Et étoit logé à Saint-Mor, et ses gens là environ, qui couroient tous les jours jusques à Paris. Et se tenoit le dit duc une fois au pont de Charenton et l’autre à Saint-Mor ; et ne venoit rien ni entroit à Paris de ce côté, ni par terre ni par eau, car le duc avoit pris les deux rivières Marne et Seine. Et ardirent ses gens autour de Paris tous les villages qui n’étoient fermés, pour mieux châtier ceux de Paris ; et si Paris n’eût été adonc fortifiée, ainsi qu’elle étoit, elle eût été sans faute détruite. Et n’osoit nul issir hors de Paris, pour la doutance du duc de Normandie et de ses gens qui couroient d’une part et d’autre Saine ; car ils véoient que nul ne leur alloit au devant. D’autre part le prévôt des marchands, qui se sentoit en la haine et indignation du duc de Normandie, tenoit à amour le roi de Navarre[3] ce qu’il pouvoit, et son conseil et la communauté de Paris, et faisoit, si comme ci-dessus est dit, de jour et de nuit ouvrer à la fermeté de Paris ; et tenoit en la dite cité grand’foison de gens d’armes et de soudoyers Navarrois et Anglois, archers et autres compagnons, pour être plus assur contre ceux qui les guerrioient. Si avoit-il adonc dedans Paris aucuns suffisans hommes, tels que messire Pepin des Essars, messire Jean de Charny, chevaliers, et plusieurs autres bonnes gens, auxquels il déplaisoit grandement de la haine au duc de Normandie, si remède y pussent mettre. Mais nennil ; car le prévôt des marchands avoit si attrait à lui toutes manières de gens et à sa cordelle, que nul ne l’osoit dédire de chose qu’il dit, s’il ne se vouloit faire tantôt tuer, sans point de merci.

Le roi de Navarre, comme sage et subtil, véoit les variemens entre ceux de Paris et le duc de Normandie, et supposoit assez que cette chose ne se pouvoit longuement tenir en tel état ; et n’avoit mie trop grand’fiance en la communauté de Paris. Si se partit de Paris, au plus courtoisement qu’il put, et s’en vint à Saint-Denis ; et là tenoit-il aussi grand’foison de gens d’armes aux sols et aux gages de ceux de Paris. En ce point furent-ils bien six semaines, le duc de Normandie atout grand’foison de gens d’armes, au pont de Charenton, et le roi de Navarre au bourg de Saint-Denis. Si mangeoient et pilloient le pays de tous côtés ; et si ne faisoient rien l’un sur l’autre.

  1. Le 30 juin, suivant les Chroniques de France.
  2. L’auteur des Chroniques de France dit qu’on estimait l’armée du régent à trente mille hommes d’armes, et plus.
  3. Il est bien étonnant que Froissart ne parle point du titre de capitaine de Paris donné au roi de Navarre le 15 juin, suivant les Chroniques de France.