Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXVII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 377-378).

CHAPITRE LXVII.


Comment le comte de Foix et le captal de Buch vinrent à Meaux pour reconforter la duchesse de Normandie et celle d’Orléans et les autres dames qui là étoient fuies pour les Jacques.


En ce temps que ces méchans gens couroient, revinrent de Prusse le comte de Foix et le captal de Buch son cousin ; et entendirent sur le chemin, si comme ils devoient entrer en Franee, la pestillence et l’horribleté qui couroit sur les gentilshommes. Si en eurent ces deux seigneurs grand’pitié. Si chevauchèrent par leur journée tant qu’ils vinrent à Châlons en Champagne qui rien ne se mouvoit du fait des vilains, ni point n’y entroient. Si leur fut dit en la dite cité que la duchesse de Normandie et la duchesse d’Orléans et bien trois cents dames et damoiselles, et le duc d’Orléans aussi, étoient à Meaux en Brie, en grand meschef de cœur pour celle Jaquerie. Ces deux bons chevaliers s’accordèrent que ils iroient voir les dames et les reconforteroient à leur pouvoir, combien que le captal fût Anglois[1]. Mais ils étoient pour ce temps trêves en ce royaume de France et le royaume d’Angleterre : si pouvoit bien le dit captal chevaucher partout ; et aussi là il vouloit remontrer sa gentillesse, en la compagnie du comte de Foix. Si pouvoient être de leur route environ quarante lances, et non plus ; car ils venoient d’un pélerinage, ainsi que je vous l’ai dit.

Tant chevauchèrent que ils vinrent à Meaux en Brie. Si allèrent tantôt devers la duchesse de Normandie et les autres dames, qui furent moult lies de leur venue ; car tous les jours elles étoient menacées des Jaques et des vilains de Brie, et mêmement de ceux de la ville, ainsi qu’il fut apparent. Car encore pour ce que ces méchans gens entendirent que il avoit là foison de dames, et de damoiselles et de jeunes gentils enfans, ils s’assemblèrent ensemble, et de ceux de la comté de Valois aussi, et s’envinrent devers Meaux. D’autre part, ceux de Paris, qui bien savoient cette assemblée, se partirent un jour de Paris, par flottes et par troupeaux[2], et s’envinrent avecques les autres. Et furent bien neuf mille tous ensemble, en très grand’volonté de mal faire. Et toujours leur croissoient gens de divers lieux et de plusieurs chemins qui se raccordoient à Meaux. Et s’en vinrent jusques aux portes de la dite ville. Et ces méchans gens de la ville ne voulurent contredire l’entrée à ceux de Paris, mais ouvrirent leurs portes. Si entrèrent au bourg si grand’plenté que toutes les rues en étoient couvertes jusques au marché. Or regardez la grand’grâce que Dieu fit aux dames et aux damoiselles ; car, pour voir, elles eussent été violées, efforcées et perdues, comme grandes qu’elles fussent, si ce n’eût été les gentilshommes qui là étoient, et par espécial le comte de Foix et le captal de Buch ; car ces deux chevaliers donnèrent l’avis pour ces vilains déconfire et détruire.

  1. C’est-à-dire dans le parti anglais et des provinces du midi soumises à la domination anglaise.
  2. L’auteur des Chroniques de France dit qu’ils étaient environ trois cents, ayant pour capitaine un épicier nommé Pierre Gille, et qu’il s’en joignit à eux environ cinq cents commandés par Jean Vaillant, prévôt des monnaies du roi, qui s’étaient assemblés à Tilli.