Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CXXXVII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 441-443).

CHAPITRE CXXXVII.


Ci s’ensuit la lettre de confédération que fit le roi d’Angleterre à Calais, en confirmant mieux la paix entre lui et le roi de France.


Édouard, par la grâce de Dieu roi d’Angleterre, seigneur d’Irlande et d’Aquitaine, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Savoir faisons, que nous pensant et considérant que les rois et princes chrétiens qui veulent gouverner le peuple qui leur est sujet doivent fuir et eschever guerre, dissensions et discords dont Dieu est offendu, et querre et aimer, pour eux et pour leur sujets, paix, unité et concorde, par laquelle l’amour du souverain roi des rois peut être acquise, les sujets sont gouvernés en tranquillité, et aux périls des guerres est obvié ; et recordant les grands maux, dommages et afflictions que notre royaume et nos sujets ont soutenus par long temps, pour cause et occasion des guerres et discords qui ont duré longuement entre nous et notre très cher frère le roi de France et les royaumes sujets, aidans et alliés d’une part et d’autre ; sur lesquelles, entre nous et notre dit frère, finalement est fait bon accord, et bonne paix reformée ; et désirant icelle garder, tenir et persévérer en vraie amour perpétuellement par bonnes et fermes alliances entre nous et notre dit frère, nos hoirs et les royaumes et les sujets de l’un et de l’autre, par quoi justice en soit mieux gardée et exercée, les droits et les seigneuries de l’un et de l’autre mieux défendues, les rebelles, malfaiteurs, désobéissans à l’un et à l’autre être plus aisément contrains à obéir et cesser des rébellions et excès, et toute chrétienté être maintenue en plus paisible état, et la Terre-Sainte en pourroit être mieux secourue et aidée ; et toutes ces choses et autres attendant et considérant que notre saint père le pape ait dispensées par grand’délibération avec nous et notre dit frère de France, c’est à sçavoir, avecques nous et nos sujets, tant gens d’église comme séculiers, sur toutes les confédérations, alliances, conventions et obligations, lettres et sermens qui étoient entre nous, notre royaume et nos sujets d’une part, et les pays et les bonnes villes, gens et sujets de Flandre d’autre part : comme le bien et l’effet de la dite paix entre nous et notre dit frère de France, les royaumes, sujets de France et d’Angleterre peuvent être empêchés par icelles ; et pour ce, les ait notre dit saint père cassées, ôtées, annulées et irritées du tout, si comme en ses lettres et procès sur ce fait est plus pleinement contenu : pour considération des cessions et causes dessus dites, et aussi voulant accomplir, en tant comme toucher nous doit, le dit accord fait sur les dites alliances, si comme octroyé l’ayons, comme dit est ; et eue sur ce très grande et mûre délibération, avons fait, et par ces présentes faisons pour nous, nos enfans, nos hoirs et successeurs, notre royaume et nos terres quelconques et nos sujets d’une part, avec notre dit frère, ses hoirs, ses enfans et successeurs, et le royaume de France, ses terres et ses sujets d’autre part, perpétuelles alliances, confédérations, amitiés, pactions et convenances qui après s’ensuivent. C’est à sçavoir que nous, nos enfans, nos hoirs et successeurs, notre royaume, nos terres et nos sujets quelconques présens et à venir, nés et à naître, seront à tous jours mais à notre dit frère de France, ses hoirs, ses enfans et successeurs, le royaume de France, ses terres et ses sujets quelconques, bons, vrais et loyaux amis et alliés ; et leur garderons à notre loyal pouvoir leurs honneurs et leurs droits, et où nous saurions leur déshonneur, leur vitupère ou dommage, nous leur annoncerions ou ferions annoncer ; et empêcherons et grèverons de tout notre pouvoir leurs ennemis présens, nés et à naître, quels qu’ils soient : ni nul conseil, confort, ni aide encontre eux ne souffrirons, ni donnerons, par quelque cause ou occasion que ce soit ou pût être, en appert ou en repost, ni ne dirons ni ferons ; ni iceux ennemis, au dommage et préjudice de notre dit frère, ses hoirs ou le royaume de France, secrètement ne recepterons ni recevrons, ni recepter ni recevoir ferons ou souffrirons en aucune manière, en notre royaume ou autres nos terres et nos seigneuries ; ni par iceux royaume et terres ou aucun d’eux, au préjudice et dommage de notre dit frère, ses hoirs et successeurs, le royaume de France, ses terres et ses sujets, leurs dits ennemis passer ni demeurer sciemment souffrirons ; ni autrement iceux ennemis, pour nous ou pour autres, en appert ou en repost, sur quel titre ou couleur que ce soit, contre notre dit frère, ses hoirs et ses sujets, et le royaume de France et autres terres, ne porterons ni soutiendrons.

Nos amis et nos alliés à leur amour et alliance, si ils nous en requièrent, de notre pouvoir induirons. Et ne souffrirons aucuns de nos sujets ni autres quelconques aller ni entrer au royaume de France ou autre terres de notre dit frère, ses enfans, hoirs et successeurs, pour y faire guerre, dommage ou offense aucune ; à gages ou à service d’autrui, ou autrement, par quelconques cause et manière que ce soit ; ainçois les empêcherons et destourberons de tout notre pouvoir. Et si aucuns de nos sujets faisoient le contraire, ou aucune guerre vilaine, ou dommage à notre dit frère au royaume de France, par terre ou par mer, à ses enfans, hoirs et successeurs ou sujets, nous les punirons ou ferons punir si grandement que ce sera exemple à tous autres ; et de tout notre pouvoir ferons réparer et radresser tous les dommages ; attemptes ou emprises faites contre ces présentes alliances, si nous en sommes requis. Et toutes fois que notre dit frère, ses hoirs et successeurs auront mestier de notre aide, et ils nous en requièrent, requerront ou feront requerre, nous, encontre toute personne qui puisse vivre et mourir, leur aiderons et donnerons tout le bon conseil, confort et aide, à leurs frais propres et dépens, que nous ferions ou pourrions faire pour notre propre fait et besogne, et sans fraude et sans mal engin ; et non contrestant quelconques autres alliances, amitiés et confédérations, que nous et notre prédécesseur avons eues au temps passé à quelconques autres personnes : auxquelles toutes et chacunes d’icelles nous renonçons du tout pour nous, nos successeurs, royaumes, terres et sujets à toujours mais par ces présentes, réservé toutes fois et excepté le pape et le saint siége de Rome, et l’empereur de Rome qui ores est, lesquels nous ne voulons être compris en ces présentes alliances, en aucune manière. Et pour ce que les alliances, confédérations, convenances, pactions et autres choses dessus dites, et chacune d’icelles, soient plus fermement tenues et gardées et accomplies, nous avons juré sur le corps Jésus-Christ sacré, et encore jurons et promettons, par la foi de notre corps et en parole de roi, les choses dessus dites et chacune d’icelles tenir fermement et accomplir à toujours, sans les enfreindre en tout ou partie en aucune manière, par quelconque cause et occasion que ce soit. Et si nous faisions, procurions, ou souffrions sciemment le contraire être fait, ce que Dieu ne veuille, nous voulons être tenus et réputés, en tous lieux et en toutes places et en tous cas, pour faux, mauvais et déloyal parjure, et encourre tel blâme et diffame comme roi sacré doit encourir en tel cas. Par ces présentes alliances nous n’entendons ni voulons que aucun préjudice se fasse à nous ni à nos hoirs et sujets, par quoi nous et eux pourrions et pourrons recepter, porter et tenir tous les bannis du royaume de France et affuis présens et à venir, nés et à naître, par quelconques causes et occasions que ce soit, par manière qui a été fait et accoutumé de faire au temps passé. Et soumettons, quant à toutes ces choses, nous, nos hoirs et successeurs, à la jurisdiction et cohercion de l’église de Rome, et voulons et consentons, tant comme à nous, que notre saint père le pape confirme toutes ces choses, en donnant monitions et mandemens généraux sur les accomplissemens d’icelles contre nous, nos hoirs eu successeurs, et contre tous nos sujets, soient communes, colléges, universités, ou personnes singulières quelconques ; et en donnant sentences généraux d’exeommuniement, de suspension et de interdit pour être encourues par nous et par eux, sitôt que nous ou eux ferons et attempterons, en occupant ville ou châtel et forteresse, ou autre chose quelconque faisant, ratifiant ou agréant, en donnant conseil, confort, faveur ou aide célément ou en appert, contre la dite paix et ces présentes alliances. Et avons fait semblablement jurer toutes les devant dites choses par notre très cher ains-né fils le prince de Galles, et nos fils puis-nés, Léonnel comte d’Ulnestre, Jean comte de Richemont, Aimon de Langley, et nos cousins, monseigneur Philippe de Navarre, et les ducs de Lancastre et de Bretagne, le comte de Stanfort, le comte de Saillebery, le seigneur de Mauny, Guy de Briane, Regnault de Cobehen, le captal de Buch, le seigneur de Montferrant, James d’Audelée, Roger de Beauchamp, Jean Chandos, Raoul de Ferriêres capitaine de Calais, Édouard le Despensier, Thomas et Guillaume de Fellefon, Eustache d’Aubrecicourt, Franke de Halle, Jean de Moutbray, Berthelemieu de Bruves, Henry de Percy, Nicole de Timbourne, Richard de Stanfort, Guillaume de Granson, Jean de Gommignies, Raoul Spigrenel, Gasconnet de Grailli et Guillaume de Bourtonne, chevaliers. Et ferons aussi jurer semblablement, au plutôt que faire pourrons bonnement, nos autres enfans et la plus grand’partie des prélats des églises, comtes, barons et autres nobles de notre royaume. En témoin de la quelle chose nous avons fait mettre notre scel à ces présentes lettres.

Données en notre ville de Calais, le vingt-quatrième jour du mois d’octobre, l’an de grâce, Notre Seigneur 1360.