Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXXXV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 488-489).

CHAPITRE CLXXXV.


Comment ceux de la Charité se rendirent au duc de Bourgogne ; et comment le dit duc s’en retourna en France.


On vouloit bien dire et maintenir que ceux qui étoient en garnison en la Charité-sur-Loire eussent eu fort temps ; car le duc de Bourgogne, qui tenoit par devant toute la fleur de la chevalerie de France, les avoit jà durement appressés, et tollue la rivière, que nulles pourvéances ne leur pouvoient venir. Si en étoient les compagnons durement ébahis ; car messire Louis de Navarre, où leur espérance de reconfort gissoit, étoit retrait et s’en r’alloit en Normandie devers Chierebourc, par l’ordonnance et avis du roi son frère. Mais de ce que messire Charles de Blois étoit pour le temps de-lez le roi de France son cousin, et lui remontroit plusieurs voies de raison où le roi se sentoit grandement tenu de lui aider contre le comte de Montfort, et faire le vouloit, si en chéy trop bien à ceux de la Charité-sur-Loire : car ainsi que je vous ai dit comment ils étoient appressés, le roi de France, pour défaire ce siége, afin que messire Charles de Blois eût plus de gens d’armes, manda au duc de Bourgogne son frère que il prît ceux de la Charité en traité et les laissât aller, parmi tant qu’ils rendissent la forteresse et jurassent solennellement que, dedans trois ans, pour le fait du roi de Navarre ne s’armeroient. Quand le duc vit le mandement du roi son frère, si fit remontrer par ses maréchaux aux capitaines de la Charité le traité par où ils pouvoient venir et descendre à accord. Ceux de la Charité, qui se véoient en bien périlleux parti, y entendirent volontiers, et jurèrent à eux non armer contre le royaume de France le terme de trois ans, pour le fait du roi de Navarre, parmi tant que on les laissât paisiblement partir. Mais ils n’emportèrent rien du leur ; et s’en allèrent la plus grand’partie tous à pied, et passèrent parmi le royaume de France sur le conduit du duc de Bourgogne. Ainsi reconquirent les François la ville de la Charité-sur-Loire ; et y revinrent ceux et celles de la nation qui vidés en étoient et ailleurs allés demeurer ; et retourna le duc de Bourgogne arrière en France, et on remena tous ses Bourguignons, dont il avoit grand’plenté.

Or vous parlerons de messire Charles de Blois comment il persévéra, et d’une grand’assemblée de gens d’armes qu’il mit sus et amena en Bretagne, et de monseigneur Jean de Montfort comment il se pourvey à l’encontre.