Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXXXVI

CHAPITRE CLXXXVI.


Comment le roi de France envoya messire Bertran du Guesclin au secours de monseigneur Charles de Blois ; et comment messire Jean Chandos vint au secours du comte de Montfort.


Le roi de France accorda à son cousin monseigneur Charles de Blois que il eût de son royaume jusques à mille lances ; et escripsit à monseigneur Bertran du Guesclin, qui étoit en Normandie, que il s’en allât en Bretagne pour aider à conforter monseigneur Charles de Blois contre monseigneur Jean de Montfort. De ces nouvelles fut le dit messire Bertran grandement réjoui, car il a toujours tenu le dit monseigneur Charles pour son naturel seigneur. Si se partit de Normandie atout ce qu’il avoit de gens, et chevaucha devers Tours en Touraine pour aller en Bretagne ; et messire Boucicaut, maréchal de France, s’en vint en Normandie en son lieu tenir la frontière. Tant exploita le dit messire Bertran et sa route qu’il vint à Nantes en Bretagne ; et là trouva le dit monseigneur Charles et madame sa femme qui le reçurent liement et doucement, et lui surent très grand’gré de ce qu’il étoit ainsi venu. Et eurent là parlement ensemble comment ils se maintiendroient ; car aussi y étoit la meilleur partie des barons de Bretagne et avoient en propos et affection de aider monseigneur Charles et le tenoient tous à duc et à seigneur. Et pour venir lever le siége de devant Auray et combattre monseigneur Jean de Montfort, ne demeura guère que grand’baronnie et chevalerie de France et de Normandie vinrent, le comte d’Aucerre, le comte de Joigny, le sire de Franville, le sire de Prie, le Bègue de Villaines et plusieurs bons chevaliers et écuyers, tous d’une sorte et droites gens d’armes.

Ces nouvelles vinrent à monseigneur Jean de Montfort qui tenoit son siége devant Auray, que messire Charles de Blois faisoit grand amas de gens d’armes, et que grand’foison de seigneurs de France lui étoient venus et venoient tous les jours encore, avec l’aide et le confort qu’il avoit encore des barons, chevaliers et écuyers de la duché de Bretagne. Sitôt que messire Jean de Montfort entendit ces nouvelles, il le signifia féalement en la duché d’Aquitaine, aux chevaliers et écuyers d’Angleterre qui là se tenoient, et espécialement à monseigneur Jean Chandos, en lui priant chèrement que en ce grand besoin il le voulsist venir conforter et conseiller, et que il espéroit en Bretagne un beau fait d’armes auquel tous seigneurs, chevaliers et écuyers, pour avancer leur honneur, devoient volontiers entendre. Quand messire Jean Chandos se vit prié si affectueusement du comte de Montfort, si en parla à son seigneur le prince de Galles à savoir que en étoit à faire. Le prince répondit que il pouvoit bien aller sans nul forfait ; car jà faisoient les François partie contre ledit comte en l’occasion de monseigneur Charles de Blois, et qu’il l’en donnoit bon congé. De ces nouvelles fut le dit messire Jean Chandos moult lie, et se pourvey bien et grandement, et pria plusieurs chevaliers et écuyers de la duché d’Aquitaine ; mais trop petit en y allèrent avec lui, si ils n’étoient Anglois. Toutes fois il emmena bien deux cents lances et autant d’archers ; et chevaucha tant parmi Poitou et Xaintonge qu’il entra en Bretagne et vint au siége devant Auray. Et là trouva-t-il le comte de Montfort, qui le reçut liement et grandement et fut moult réjoui de sa venue ; aussi furent messire Olivier de Clisson, messire Robert Canolle et les autres compagnons ; et leur sembloit proprement et généralement que mal ne leur pouvoit venir, puisqu’ils avoient en leur compagnie messire Jean Chandos. Si passèrent la mer hâtivement, d’Angleterre en Bretagne, plusieurs chevaliers et écuyers qui désiroient leurs corps à avancer et eux combattre aux François ; et vinrent devant Auray, en l’aide du comte de Montfort, qui tous les reçut à grand’joie. Si étoient bien Anglois et Bretons, quand ils furent tous ensemble, seize cents combattans, chevaliers et écuyers, et environ huit ou neuf cents archers.