Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXXXIV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 487-488).

CHAPITRE CLXXXIV.


Comment le roi de France envoya son connétable et ses maréchaux pour mettre le siége devant la Charité ; et comment le dit roi y envoya après le duc de Bourgogne.


Pendant que cette chevauchée se fit en Bourgogne envoya le roi de France monseigneur Moreau de Fiennes, son connétable, et ses maréchaux monseigneur Boucicaut et monseigneur Mouton de Blainville, à grand’foison de chevaliers et d’écuyers, pardevant la Charité ; lesquels y mirent le siége sitôt comme ils y furent venus, et l’assiégèrent d’un côté bien et fortement. Si alloient les compagnons, pour leurs corps avancer, presque tous les jours escamoucher à ceux de dedans : là y avoit des appertises d’armes faites plusieurs. Et y tinrent le siége le dit connétable et les dits maréchaux, sans point partir, jusques adonc que le duc de Bourgogne et la plus grand’partie de ses gens, qui avoient chevauché avec lui en la comté de Montbeliard, furent tous revenus en France devers le roi, et le trouvèrent à Paris. Sitôt que le duc de Bourgogne fut là revenu, le dit roi l’envoya, à plus de mille lances, devant la Charité.

Ainsi fut le siége renforcé ; et s’y fit chef de toutes ces gens d’armes le duc de Bourgogne, et étoient bien les François au siége pardevant la Charité plus de trois mille lances, chevaliers et écuyers ; de quoi les plusieurs se alloient souvent aventurer et escarmoucher à ceux de la garnison. Si en y avoit des navrés des uns et des autres. Et là furent faits chevaliers et levèrent bannières, à une saillie que ceux de la Charité firent hors, messire Robert d’Alençon, fils du comte d’Alençon qui demeura à Crécy, et messire Louis d’Aucerre, fils au comte d’Aucerre qui là étoit présent. Si furent les compagnons de la Charité appressés, et se fussent volontiers partis par composition, si ils pussent : mais le duc de Bourgogne n’y vouloit entendre, si ils ne se rendoient simplement.

En ce temps étoit sur la marche d’Auvergne messire Louis de Navarre qui détruisoit et ardoit là à ce lez tout le pays, assembloit et prioit gens de tous côtés pour venir secourir les gens de la Charité ; car volontiers eût levé le siége ; et avoit bien deux mille combattans. Et avoit le dit messire Louis de Navarre envoyé en Bretagne devers monseigneur Robert Canolle et monseigneur Gautier Huet, et monseigneur Mathieu de Gournay et autres chevaliers et écuyers qui là étoient de-lez le comte de Montfort, en priant que ils se voulsissent péner de lui venir servir ; et sans faute il combattroit les François qui gissoient assez esparsement devant la Charité. Ces chevaliers d’Angleterre y désiroient moult à aller ; mais en ce temps séoit le dit comte de Montfort devant le fort châtel d’Auray en Bretagne, que le roi Artus fit jadis fonder, et avoit juré qu’il ne s’en partiroit, si l’auroit pris et conquis à sa volonté. Avecques tout ce, il entendoit que messire Charles de Blois étoit en France, et pourchassoit devers le roi de France à avoir gens d’armes ; pour venir lever le siége et eux combattre. Si ne laissoit mie volontiers ces chevaliers et écuyers d’Angleterre partir de lui, car il ne savoit quel besoin il en auroit : mais en mandoit et en prioit tous les jours là où il en pensoit à avoir et à recouvrer, tant en Angleterre comme en la duché d’Aquitaine.