Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXXXIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 532-533).

CHAPITRE CCXXXIII.


Comment le prince ordonna que ses gens s’appareillassent et suivissent les bannières des maréchaux et le pennon Saint-George.


Ainsi se devisoient le roi Henry et messire Bertran de Guesclin ensemble d’une chose et d’autres, et laissèrent à parler des lettres que le prince avoit envoyées ; car c’étoit bien l’intention du roi Henry qu’ils se combattroient, et entendirent à ordonner leurs gens et leurs besognes. À ce donc étoient moult honorés et renommés en l’ost le comte Dan Tille et le comte Sanses, pour la chevauchée qu’il avoient mise sus, et dont ils étoient venus à bon coron.

Or vous parlerons du prince, comment il persévéra, Quand ce vint au vendredi, le second jour du mois d’avril, il se délogea de devant le Groing où il étoit logé, et tout son ost aussi, et chevauchèrent ses gens tous armés et rangés par manière de bataille, ainsi que pour tantôt combattre ; car bien sçavoient que le roi Henry n’étoit mie loin ; et cheminèrent ce jour deux lieues ; et s’en vinrent droit à l’heure de tierce devant Navarette et se logèrent là[1]. Sitôt qu’ils eurent pris terre, le prince envoya ses coureurs devant pour sçavoir le convine des ennemis, et là où ils étoient logés. Ces coureurs, tantôt montés sur fleur de coursiers, se départirent de l’ost du prince et chevauchèrent si avant que ils virent tout l’ost entièrement des Espaignols qui étoient logés ès bruyères devant Najares ; et ce rapportèrent-ils au prince qui volontiers en ouït parler, et sur ce eut-il avis. Quand ce vint au soir, il fit secrètement signifier par tout son ost que, au premier son de sa trompette on s’appareillât, au second on s’armât, et au tiers son on montât à cheval et partit, en suivant les bannières des maréchaux et le pennon Saint-George, et que nul, sur la tête, ne s’avançât d’aller devant, s’il n’y étoit commis.

  1. Le prince de Galles dut arriver à Navarrette au plus tard le 1er avril, puisque la lettre qu’il écrivit de cette ville au comte de Transtamare est datée de ce jour.