Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXXXII

CHAPITRE CCXXXII.


Comment messire Bertran du Guesclin conseille le roi Herry sur la forme de la dite lettre que le prince lui avoit envoyée.


Quand cette lettre fut écrite on la cloy et scella, et fut baillée au héraut qui avoit l’autre apportée et qui la réponse avoit attendue plus de trois semaines. Si se partit du prince et des seigneurs atout grand profit, et chevaucha tant que il vint devant Najare, ès bruyères où le roi étoit logé. Si vint jusques au logis du roi Henry, et là se trairent les plus grands barons de l’ost, pour ouïr les nouvelles, quand ils sentirent leur héraut venu.

Le dit héraut s’agenouilla devant le roi Henry et lui bailla la lettre que le prince lui envoyoit. Le roi la prit et ouvrit, et appela au lire messire Bertran du Guesclin et aucuns chevaliers de son conseil. Là fut la dite lettre lue et bien considérée. Adonc parla messire Bertran du Guesclin et dit au roi Henry : « Sire, sachez que briévement vous vous combattrez ; de tant connois-je bien le prince : si ayez avis sur ce ; car vous avez bien mestier que vous regardez à vos besognes et entendez à vos gens, et ordonnez vos batailles. » — « Dan Bertran, répondit le roi Henry, ce soit au nom de Dieu ! La puissance du prince ne prisé-je néant ; car j’ai bien trois mille chevaux armés qui seront sur les deux èles de mes batailles, et aurai bien six mille génétaires[1] et bien vingt mille hommes d’armes des meilleurs que on puist trouver en toute Castille, Gallice, Portingal, Cordouan, et Séville, et dix mille de bons arbalétriers, et bien soixante mille hommes de pied atout lances et archegaies ; et ont tous juré qu’ils ne me faudront pour mourir ; si que, Dan Bertran, j’en aurai le meilleur, par la grâce de Dieu en qui je me confie, et le bon droit aussi que j’ai à la querelle et à la besogne. »

  1. Cavaliers légèrement armés.