Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXXVII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 528-529).

CHAPITRE CCXXVII.


Comment le comte Dam Tille demanda congé au roi Henry, son frère, d’aller escarmoucber en l’ost du prince ; et comment messire Bertran arriva en l’ost du roi Henry.


Quand ce vint au soir, et qu’il étoit heure de retraire, les deux maréchaux, messire Guichard d’Angle et messire Étienne de Cousenton, ordonnèrent et commandèrent de retraire et de tout homme loger, et que, à lendemain, au son des trompettes, chacun se retraist sur les champs, en ce propre convine qu’ils avoient été. Tous obéirent à cette ordonnance, excepté messire Thomas de Felleton et sa route, dont j’ai parlé ci-dessus ; car ils se départirent ce propre soir du prince et chevauchèrent plus avant, pour mieux apprendre de l’état des ennemis, et s’en allèrent loger en sus de l’ost du prince bien deux lieues du pays. Advint ce soir que le comte Dam Tille, frère germain du roi Henry, étoit au logis du dit roi son frère, et parloient de armes et d’une chose et d’autres. Si dit au roi Henry : « Sire, vous savez que nos ennemis sont logés moult près de-ci, et n’est nul qui les réveille ; je vous prie que vous me donnez congé que le matin je puisse chevaucher devers eux atout une route de vos gens, qui en sont en grand’volonté, et je vous ai en convenant que nous irons si avant que nous vous rapporterons vraies enseignes et certaines nouvelles des ennemis. » Le roi Henry, qui vit son frère en grand’volonté, ne lui voulut mie briser son bon désir, mais lui accorda légèrement.

En celle propre heure descendit en l’ost messire Bertran du Guesclin à plus de trois mille combattans de France et d’Arragon, dont le roi Henry et ceux de son ost furent grandement réjouis, et fut fêté, honoré et recueilli ; si grandement comme à lui appartenoit. Le comte Dam Tille ne voulut mie séjourner sur son propos, mais requit et pria tous les compagnons qu’il pensoit de grand’volonté et à avoir ; et en eût volontiers prié messire Bertran du Guesclin et messire Arnoul d’Andrehen, et monseigneur le Bègue de Vilaines, et le vicomte de Roquebertin d’Arragon, si il eût enduré ; mais pourtant qu’ils étoient tantôt venus, il les laissa, et aussi le roi lui défendit que point ne leur en parlât. Le comte Dam Tille s’en passa assez brièvement et en eut aucuns de France et d’Arragon qui avoient là séjourné toute la saison, et fit tant qu’il eut bien six mille chevaux et les hommes montés sus et bien habillés, et étoit son frère Sanses en sa compagnie.