Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXXVI

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 527-528).

CHAPITRE CCXXVI.


Comment le prince ordonna ses batailles sur les champs devant Vittore, et y eut ce jour fait bien trois cents chevaliers nouveaux.


Quand le prince entendit ces nouvelles, si fit sonner ses trompettes et crier alarme par tout son ost. Quand ils ouïrent ce, ils se remirent et recueillirent ensemble tous. Si s’ordonnèrent et se rangèrent moult convenablement sur les champs, par batailles, ainsi qu’ils devoient être ; car chacun savoit, dès au partir de Sauveterre, quelle chose il devoit faire, ni où il se devoit traire : si se ordonnèrent tantôt, et se trait chacun là où il devoit aller. Là vit-on grand’noblesse de bannières et de pennons et de toute armoirie. Si vous dis que c’étoit grand’noblesse à voir et une grand’beauté à regarder. Là étoit l’avant-garde si bien rangée et si bien ordonnée que merveille, de laquelle le duc de Lancastre étoit chef et gouverneur, et avec lui messire Jean Chandos, connétable d’Aquitaine, lequel étoit là moult étoffément et en grand arroy. Là y eut fait par les batailles plusieurs chevaliers. Si fit le duc de Lancastre en l’avant-garde, chevaliers, messire Raoul Camois, messire Gautier Orsuicb, messire Thomas de Daimer, messire Jean Grandçon, et en fit le dit duc jusques à douze. Et messire Jean Chandos en fit aussi aucuns de bons écuyers d’Angleterre et de son hôtel ; c’est à savoir, Cliton, Courson, Prieur, Guillaume de Ferniton, Aymeri de Rochechouart, Gaillart de Lamotte et messire Robert Briquet. Et le prince fit chevaliers, tout premièrement le roi Dam Piètre d’Espaigne, messire Thomas de Hollande fils à sa femme la princesse, messire Hue de Courtenay, messire Philippe et messire Pierre de Courtenay, messire Jean Trivet, messire Nicolas Bond, et des autres, plusieurs ; et ainsi faisoient les autres seigneurs par leurs batailles. Si en y eut fait ce jour bien trois cents et plus, et furent là rangés tout ce jour pour attendre la bataille et leurs ennemis, s’ils se fussent traits avant. Mais ils ne vinrent point ni approchèrent de plus près que les coureurs avoient été ; car le roi Henry attendoit encore grand secours d’Arragon, et par espécial de messire Bertran du Guesclin, qui devoit venir à plus de quatre mille combattans ; et sans ces gens il ne se fût mie volontiers combattu. De tout ce fut le dit prince tout joyeux, car aussi toute son arrière-garde, où plus avoit de six mille combattans, étoit en derrière plus de sept lieues de pays ; de quoi le prince eut, ce jour qu’ils furent rangés devant Vittore, mainte angoisse au cœur, pour ce que son arrière-garde détrioit tant à venir. Néanmoins si les Espagnols fussent traits avant pour combattre, le prince, sans nulle faute, les eût recueillis et combattus.