Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 516-517).

CHAPITRE CCXIII.


Comment le sénéchal de Toulouse et le comte de Narbonne envoyèrent leurs coureurs par devant Montalban et comment le capitaine de Montalban vint parler aux dits seigneurs.


Quand le comte de Narbonne et messire Guy d’Azay, qui se faisoient souverains et meneurs de toutes ces gens d’armes, furent partis de la cité de Toulouse, ils s’en vinrent loger assez près de Montalban, qui pour lors se tenoit en l’obéissance du prince ; et en étoit capitaine à ce jour un chevalier anglois qui s’appeloit messire Jean Trivet. Si envoyèrent ces seigneurs de France leurs coureurs devant Montalban pour agraire hors ces Compagnies qui s’y tenoient.

Quand le capitaine de Montalban entendit que les François étoient venus à main armée et à ost devant sa forteresse, si fut durement émerveillé, pour tant que la terre étoit du prince. Si vint aux barrières de la dite ville, et fit tant que, sur assurance, il parla aux dits coureurs, et leur demanda qui là les envoyoit et pourquoi ils s’avançoient de courir la terre du prince qui étoit voisine et devoit être amie, avecques le corps du seigneur, au royaume et au roi de France. Ceux répondirent et dirent : « Nous ne sommes mie, de nos seigneurs qui ci nous ont envoyés, de rendre raison chargés ; mais pour vous apaiser, si vous voulez venir ou envoyer par devers nos seigneurs, vous en aurez bien réponse. » — « Oil, dit le capitaine de Montalban, je vous prie que vous retraiez par devers eux, et leur dites qu’ils m’envoient un sauf-conduit par quoi je puisse aller eux à et retourner arrière, ou ils m’envoient dire pleinement pour quoi ni à quel titre ils me font guerre ; car si je cuidois que ce fût tout acertes, je le signifierois à monseigneur le prince qui y pourverroit de remède. » Ceux répondirent : « Nous le ferons volontiers. » Ils retournèrent et recordèrent à leurs seigneurs toutes ces paroles. Ce sauf-conduit fut impétré, au nom du dit messire Jean Trivet, et l’apportèrent à Montalban.

Adonc se partit, lui cinquième tant seulement, et vint au logis des dessus dits François, et trouva les seigneurs tous appareillés de le recevoir et de lui répondre. Il les salua et ils lui rendirent son salut, et puis leur demanda à quelle cause ils avoient envoyé courir à main armée par devant sa forteresse qui se tenoit de monseigneur le prince. Ils répondirent : « Nous ne voulons nulle ahatie ni nulle guerre ; mais nous voulons nos ennemis chasser où que nous les savons. » — « Et qui sont vos ennemis ni où sont-ils ? » ce répondit le chevalier. — « En nom de Dieu, répondit le comte de Narbonne, ils sont à Montalban, et sont robeurs et pilleurs, qui ont robé et pillé, pris et couru mal dûment sur le royaume de France ; et aussi, messire Jean, si vous êtes bien courtois ni ami à vos voisins, vous ne les devriez mie soutenir qui pillent et robent les bonnes gens sans nul titre de guerre, car par tels œuvres s’émeuvent les haines entre les seigneurs ; et les mettez hors de votre forteresse, ou autrement vous n’êtes mie ami au roi ni au royaume de France. » — « Seigneurs, dit le capitaine de Montalban, il est bien vérité qu’il y a gens d’armes dedans ma garnison que monseigneur le prince a mandés, et les tient à lui pour ses gens. Si ne suis mie conseillé que de eux faire partir si soudainement, ni d’eux faire vuider ; et si ceux vous ont fait aucuns déplaisirs, je ne puis mie voir qui droit vous en fasse, car ce sont gens d’armes ; si les convient vivre ainsi qu’ils ont accoutumé et sur le royaume de France et sur le prince. » Donc répondirent le comte de Narbonne et messire Guy d’Azay, et dirent : « Ce sont gens d’armes tels quels qui ne savent vivre, fors de pillage et de roberie, et qui mal courtoisement ont chevauché sur nos mettes. Si le compareront, si nous les pouvons tenir aux champs, car ils ont ars, pris et pillé et fait moult de maux en la sénéchaussée de Toulouse, dont les plaintes en sont venues à nous ; et si nous les souffrions à faire, nous serions traîtres et parjures envers notre seigneur qui ci nous a établis pour garder sa terre. Si leur dites hardiment de par nous ainsi ; car puisque nous savons où ils logent, nous ne retournerons si l’auront amendé, ou il nous coûtera encore plus. »

Autre réponse ne put adonc avoir le capitaine de Montalban, et s’en partit mal content d’eux, et dit que jà pour leurs menaces il ne briseroit jà son intention, et retourna à Montalban et leur recorda toutes les paroles que vous avez ouïes.