Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 515-516).

CHAPITRE CCXII.


Comment le sire de Labreth promit au prince mille lances, et comment le sénéchal de Toulouse et le comte de Narbonne s’en allèrent vers Montalban contre les Compagnies.


Une fois étoit en récréation le prince de Galles en sa chambre en la cité d’Angoulême avecques plusieurs chevaliers de Gascogne, de Poitou et d’Angleterre, et bourdoit à eux, et eux à lui de ce voyage d’Espaigne ; et fut du temps que messire Jean Chandos étoit outre après les Compagnies. Si tourna son chef devers le sire de Labreth, et lui dit : « Sire de Labreth, à quelle quantité de gens d’armes me pourrez-vous bien suir en ce voyage ? » Le sire de Labreth fut tout appareillé de répondre, et lui dit ainsi : « Monseigneur, si je voulois prier tous mes amis, c’est à entendre mes féaux, j’en aurois bien mille lances et toute ma terre gardée par mon chef. » — « Sire de Labreth, c’est belle chose, » répondit le prince, et lors regarda sur le seigneur de Felleton et sur aucuns chevaliers d’Angleterre et leur dit en anglois : « Par ma foi, on doit bien aimer la terre où on trouve un tel baron qui peut suir son seigneur à mille lances. » Après il se retourna devers le sire de Labreth et dit : « De grand’volonté, sire de Labreth ! je les retiens tous. » — « Ce soit au nom de Dieu, monseigneur, » ce répondit le sire de Labreth. De cette retenue dut depuis être avenu grand meschef, si comme vous orrez en avant en l’histoire.

Or retournerons-nous aux compagnies qui s’étoient accordées et alliées avec le prince. Si vous dis que ils eurent moult de maux ainçois qu’ils fussent revenus et rentrés en la prinçauté, tant des geniteurs[1] comme de ceux de Castelongne et d’Arragon, et se départirent en trois routes. L’une partie des Compagnies et plus grande s’en allèrent costiant Foix et Berne, et l’autre Catalogne et Armignac et la tierce s’avala entre Arragon et Foix par l’accord du comte d’Armignac, du seigneur de Labreth et du comte de Foix. En celle route avoit la plus grand’partie de Gascons ; et s’en venoient cils compagnons, qui pouvoient être environ trois mille par routes et par compagnies, en l’une trois cents, en l’autre quatre cents, devers l’archevêché de Toulouse ; et devoient passer entre Toulouse et Montalban.

Adonc avoit un bon chevalier de France à sénéchal de Toulouse qui s’appeloit messire Guy d’Azay. Quand il entendit que ces Compagnies approchoient et qu’ils chevauchoient en routes et ne pouvoient être en somme plus de trois mille combattans, qui encore étoient foulés, lassés et mal armés, mal montés et pis chaussés, si dit qu’il ne vouloit pas que tels gens approchassent Toulouse ni le royaume de France, pour eux recouvrer ; et qu’il leur iroit au devant et les combattroit, s’il plaisoit à Dieu. Si signifia tantôt son intention à messire Aymery comte de Narbonne et au sénéchal de Carcassonne et à celui de Beaucaire et à tous les officiers, chevaliers et écuyers de là environ, en eux mandant et requérant aide, pour aider à garder la frontière contre ces males gens nommés Compagnies. Tous ceux qui mandés et priés furent, obéirent et se hâtèrent ; et vinrent au plus tôt qu’ils purent en la cité de Toulouse ; et se trouvèrent grands gens, bien cinq cents lances, chevaliers et écuyers, et quatre mille bidaus, et se mirent sur les champs par devers Montalban à sept lieues de Toulouse, où ces gens se tenoient, les premiers qui venus étoient ; et tout compté ils ne se trouvèrent pas plus de deux cents lances, mais ils attendoient les routes de leurs compagnons qui devoient passer par là.

  1. Troupes légères à cheval.