Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCLXXXI

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 582-583).

CHAPITRE CCLXXXI.


Comment messire Robert Canolle, messire Jean Chandos, messire Thomas de Felleton et le captal de Buch ordonnèrent de leurs gens et s’en retournèrent devers le prince.


Ainsi que les dessus dits et leurs routes, et les compagnies avec eux, chevauchoient ès marches de Rouergue et de Quersin, et qu’ils faisoient tourner villes et châteaux, et mettoient le pays où ils conversoient en grand’tribulation, Chandos le héraut revint, qui les trouva devant une forteresse en Quersin que ils avoient moult astreinte. Sitôt qu’ils virent le héraut revenu, si lui firent grand’chère et lui demandèrent des nouvelles. Il leur dit que monseigneur le prince les saluoit tous et les désiroit moult à voir ; et à ces mots il leur bailla les lettres que le prince leur envoyoit. Si les prirent les barons et les lurent. Si trouvèrent, avec saluts et amitiés, qu’il ordonnoit et vouloit que messire Jean Chandos, messire Thomas de Felleton, monseigneur le captal de Buch, retournassent en Angoulême devers lui, et messire Robert Canolle et ses gens, et toutes les Compagnies, demeurassent en l’état où ils étoient et fissent guerre. Quand ces quatre seigneurs, qui là étoient chefs de toutes ces gens d’armes, entendirent ces nouvelles, si regardèrent tous l’un l’autre, et puis demandèrent quelle chose en étoit bonne à faire. Si se adressèrent d’une voix devers messire Robert Canolle et lui dirent : « Messire Robert Canolle, vous véez et entendez comment monseigneur le prince nous remande, et veut et ordonne que vous demeuriez sur ce pays et soyez chef et gouverneur de toutes ces gens d’armes. » — « Seigneurs, répondit messire Robert, monseigneur le prince me fait plus d’honneur que je ne vaudrai jamais ; mais sachez que jà sans vous je n’y demeurerai, et si vous partez je partirai. » Depuis, il ne se vouit autrement laisser informer ni conseiller, mais dit toujours qu’il partiroit. Si eurent conseil de retourner tous quatre devers le prince savoir plus pleinement son entente.

Ainsi se dérompit cette grande chevauchée ; et quand ce vint au département, ils envoyèrent messire Perducas de Labreth en la ville de Rochemadour, et toutes ses gens, pour là faire frontière contre les François ; et dirent ainsi les seigneurs aux autres compagnies et à leurs capitaines : « Seigneurs, vous oyez comment monseigneur le prince nous remande ; si nous faut obéir ; et ne savons de vérité qu’il nous veut. Si vous dirons que vous ferez : vous recueillerez vos gens et vous remettrez ensemble, et monterez amont sur les marches de Limousin et d’Auvergne, et ferez la guerre ; car sans guerre ne pouvez vous vivre ni ne savez ; et nous vous jurons et promettons loyaument, que si vous prenez ou conquérez ville, châtel ou forteresse en France, en quelque lieu que ce soit ni en quelque marche, et vous y êtes assiégés, nous vous irons conforter tellement que nous lèverons le siége, » Ceux qui ces paroles et promesses ouïrent dirent : « C’est bien dit, et nous le recevons ainsi ; car espoir en aurons-nous mestier. » Ainsi se départirent les uns des autres, et se dérompit cette grosse chevauchée, les compagnies d’un lez et les seigneurs d’autre, qui s’en revinrent tout par accord devers le prince en la ville d’Angoulême, qui leur fit grand’chère. Or étoient revenus aussi de la comté de Pierregord, un petit en devant, le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch, messire Jean de Montagu et tous les autres.

Or vous parlerons des compagnies et gens d’armes qui partis étoient de monseigneur Jean Chandos, comment ils persévérèrent.