Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCLXXXII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 583-584).

CHAPITRE CCLXXXII.


Comment les Compagnies anglesches prirent le châtel de Belleperche en Bourbonnois et la mère du duc de Bourbon qui étoit dedans, et aussi le châtel de Sainte-Sévère.


Entre les compagnons avoit là trois écuyers de la terre du prince, grands capitaines des compagnies et hardis et apperts hommes d’armes durement, grands aviseurs et écheleurs de forteresses. Si appeloit-on l’un Ortinge, l’autre Bernard de Wiske et le tiers Bernard de la Sale. Ces trois compagnons ne voulurent mie séjourner qu’ils ne fissent parler d’eux et aucun exploit d’armes. Si s’en vinrent avec leurs routes eux refreschir en Limousin.

En ce temps en étoit sénéchal et gouverneur, de par le prince, messire Jean d’Évreux. Ces trois dessus dits jetèrent leurs avis à prendre en France aucunes forteresses ; et regardèrent que Belleperche en Bourbonnois étoit un beau châtel et fort ; et y demeuroit la mère du duc de Bourbon et de la roine de France. Si entendirent par leurs espies que la bonne dame étoit là seule entre ses gens, et n’avoit audit château point trop grand’garde ; encore le châtelain du lieu alloit et venoit souvent hors, et n’en étoit point trop soigneux de le garder. Ces compagnons et une partie des leurs, ceux qu’ils vouldrent élire, ne sommeillèrent point trop sur leur entente, mais chevauchèrent un jour et une nuit et vinrent sur l’ajourner à Belleperche, et l’échellèrent et prirent, et madame la mère de la roine de France qui étoit dedans, et fut leur ce qu’ils trouvèrent dedans. Si regardèrent que la forteresse étoit belle et bonne et en gras pays, et dirent qu’ils la tiendroient contre tout homme. Encore en cette propre nuit ils prirent une autre forteresse qui s’appeloit Sainte-Sévère[1], sur les marches de Limousin, et cette donnèrent-ils à monseigneur Jean d’Évreux.

Ces nouvelles furent tantôt sçues en France, que Belleperche étoit prise et emblée des Anglois, et la mère de la roine de France dedans. Si en fut le roi fortement courroucé, et aussi furent la roine et le duc de Bourbon ; mais amender ne le purent quant à cette fois.

En ce temps fut élu en France pour être l’un des maréchaux des guerres messire Louis de Sancerre[2], vaillant homme et hardi chevalier durement. Encore vivoit messire Arnoul d’Audrehen ; mais il étoit si vieux et si froissé d’armes et de travail du temps passé, que bonnement aider ne se pouvoit ni plus embesogner de l’office ; mais encore s’armoit-il volontiers quand il venoit à point.

Or vous parlerons un petit des besognes de Picardie, aussi bien que nous vous avons parlé de celles des lointaines marches, et d’une grand’assemblée qui fut faite à Tournehen.

  1. Sainte-Sévère, bourg du Berry, situé sur l’Indre, un peu au-dessus de La Châtre.
  2. Il parait que Louis de Sancerre avait été pourvu de la charge de maréchal de France dès le 20 juin de l’année précédente, sur la démission d’Arnoul d’Audeneham.