Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXVII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 617-618).

CHAPITRE CCCXVII.


Comment le prince se partit de Congnac et alla mettre le siége devant la cité de Limoges et la commanda à miner.


Quand les nouvelles vinrent au prince de Galles que la cité de Limoges étoit tournée Françoise, et que l’évêque du dit lieu, qui étoit son compère, en qui il ayoit eu du temps passé grand’fiance, avoit été à tous ses traités et l’avoit aidée à rendre, si en fut durement courroucé, et en tint moins de bien et de compte des gens d’église, où il ajoutoit en devant grand’foi. Si jura l’âme de son père, que oncques il ne parjura, qu’il n’entendroit jamais à autre chose si la r’auroit et auroit aux traîtres fait comparer leur forfait chèrement. Quand la plus grand’partie de ses gens furent venus, on les nombra à douze cents lances, chevaliers et écuyers, mille archers et trois mille hommes de pied. Si se départirent de la ville de Congnac. Avec le prince étoient ses deux frères, le duc de Lancastre, le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch qui s’appeloit aussi leur frère ; messire Thomas de Felleton et le captal de Buch étoient demeurés à Bergerac pour garder la frontière contre les François et les Compagnies qui se tenoient sur le pays. Avecques le prince étoit messire Guichard d’Angle, messire Louis de Harecourt, le sire de Pons, le sire de Parthenay, le sire de Poiane, le sire de Tonnai-Bouton, messire Percevaux de Cologne, messire Geoffroy d’Argenton, Poitevins : et Gascons, le sire de Montferrant, le sire de Chaumont, le sire de Langueren, messire Aymery de Tarste, le sire de Pommiers, messire Hélie de Pommiers, le sire de Mucident, îe sire de l’Esparre, le soudich de l’Estrau, le sire de Condon, messire Bernardet de Labreth seigneur de Géronde, et plusieurs autres : Anglois, monseigneur Thomas de Percy, le sire de Ros, monseigneur Guillaume de Beauchamp, messire Michel de la Poule, monseigneur Étienne de Cousenton, messire Richart de Pontchardon, messire Baudouin de Franville, messire Simon Burlé, monseigneur d’Angouse, messire Jean d’Évreux, messire Guillaume de Neville ; et des autres que je ne puis mie tous nommer : et Hannuyer, messire Eustache d’Aubrecicourt ; et des Compagnies, monseigneur Perducas de Labreth, Naudon de Bagerant, Lamit, le Bourg de l’Esparre, le Bourg de Breteuil, Espiote, Bernardet de Wîst et moult d’autres. Si se mirent toutes ces gens d’armes au chemin, en grand’ordonnance, et tinrent les champs, et commença tout le pays à frémir contre eux. Dès lors ne pouvoit le prince chevaucher ; mais se faisoit mener et charrier en litière par grand’ordonnance. Si prirent le chemin de Limosin pour venir devant Limoges ; et tant exploitèrent les Anglois qu’ils y parvinrent. Si se logèrent tantôt et sans délai tout autour ; et jura le prince que jamais il ne s’en partiroit, si l’auroit-il à sa volonté. L’évêque du lieu et les bourgeois de la ville sentoient bien qu’ils s’étoient trop forfaits et qu’ils avoient grandement courroucé le prince, de quoi ils se repentoient moult ; et si n’y pouvoient remédier ; car ils n’étoient mie seigneurs ni maîtres de leur cité. Messire Jean de Villemur, messire Hugues de la Roche et Roger de Beaufort qui la gardoient et qui capitaines en étoient, réconfortoient, grandement les gens de la ville, quand ébahir les véoient, et disoient : « Seigneurs, ne vous effrayez de rien ; nous sommes forts et gens assez pour nous tenir contre la puissance du prince ; par assaut ne nous peut-il prendre ni gréver ; car nous sommes bien pourvus d’artillerie. » Au voir dire, quand le prince et ses maréchaux eurent bien imaginé et considéré la circuite et la force de Limoges, et ils sçurent le nombre des gentilshommes qui dedans étoient, si dirent bien que par assaut ils ne l’auroient jamais : lors jouèrent-ils d’un autre métier. Et menoit par usage le prince toujours avec lui en ses chevauchées grand’foison de hurons qu’on dit mineurs. Iceux furent tantôt mis en œuvre et commencèrent à miner efforcément et à faire leur ouvrage. Les chevaliers qui étoient dedans connurent bien que on les minoit ; si commencèrent à fossoyer à l’encontre pour briser leur mine.

Or parlerons-nous un petit de messire Robert Canolle.