Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXLIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 642-643).

CHAPITRE CCCXLIX.


Comment messire Bertran du Guesclin attaqua Montcontour ; et comment ceux du dit fort se rendirent, sauves leurs vies.


Tant exploitèrent le connétable de France, le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, le sire de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Laval, le sire de Beaumanoir, le sire de Sully, et tous les barons et les chevaliers et leurs routes, qu’ils vinrent devant Montcontour, un très bel châtel à six lieues de Poitiers. Quand ils furent là venus, si l’assiégèrent de grand’façon, et se mirent tantôt à assaillir par bonne ordonnance ; et pour ce qu’il avoit à l’environ des murs grands fossés et parfons, et qu’ils ne pouvoient approcher les murs de près à leur aise et volonté, ils envoyèrent querre et couper par les vilains du pays grand’foison de bois et d’arbres, et les firent là amener et apporter à force d’harnois et de corps, et renverser tout ès fossés, et jeter grand’foison d’estrain et de terre sus ; et eurent tout ce fait en quatre jours, tant qu’ils pouvoient bien aller jusques aux dits murs à leur aise. Et puis, quand ils eurent tout ce fait, si commencèrent à assaillir de grand’volonté et par bon exploit ; et ceux du fort à eux défendre ; car il leur étoit bien mestier ; et eurent un jour tout entier l’assaut, où ils reçurent moult de peine, et furent en grand’aventure et péril d’être pris ; mais ils étoient là dedans tant de bonnes gens que, en ce cinquième jour, ils n’eurent garde.

Au sixième, le connétable et ses Bretons s’ordonnèrent et se trairent avant pour assaillir plus fort que devant ; et s’en venoient tous pavoisés, portant pics et hoyaux en leurs mains, et vinrent jusques aux murs. Si commencèrent à férir et à frapper, et à traire hors pierres, et à pertuiser le dit murage en plusieurs lieux ; et tant firent que les compagnons qui dedans étoient se commencèrent à ébahir : néanmoins, ils se défendirent si vaillamment que oncques gens firent. Jean Cresuelles et David Hollegrave, qui capitaines étoient, imaginèrent le péril, comment messire Bertran et ses gens les assailloient, et à ce qu’ils montroient, point de là ne partiroient, si les auroient ; et si de force étoient pris, ils seroient tous morts ; et véoient bien que nul confort ne leur apparoit de nul côté. Si entrèrent en traités pour eux rendre, sauves leurs vies et leurs corps.

Le connétable, qui ne vouloit mie fouler ni gréver ses gens, ni ceux du fort trop presser, pourtant que ils étoient droites gens d’armes, entendit à ces traités, et les laissa passer, parmi tant que sauf leurs corps ils se partirent, mais nuls de leurs biens n’emportèrent, fors or et argent ; et les fit conduire jusques à Poitiers. Ainsi eut le connétable le châtel de Montcontour ; si en prit la saisine et le fit réparer ; et se tint illec pour lui et ses gens rafraîchir ; car il ne savoit encore quelle part il se trairoit, ou devant Poitiers, ou ailleurs.