Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXLVIII

CHAPITRE CCCXLVIII.


Comment le duc de Berry, le duc de Bourbon, messire Bertran et plusieurs autres grands seigneurs de France prirent le châtel de Montmorillon.


Nous retournerons aux besognes de Poitou, qui pour ce temps ne furent mie petites ; et parlerons comment les chevaliers gascons et anglois qui, le jour de Saint-Jean-Baptiste au soir, vinrent en la ville de la Rochelle, si comme vous avez ouï ci-dessus, persévérèrent, ainsi que ceux qui moult courroucés furent de ce que le jour devant ils n’étoient venus à la bataille, et que ils n’avoient trouvé à point les Espaignois. Or eurent ils entre eux conseil et avis quelle chose ils feroient, ni où ils se trairoient ; car jà se commençoient-ils à douter de ceux de la Rochelle. Si trouvèrent là messire Jean d’Évreux, qui avoit été à la bataille du jour devant et s’étoit sauvé ; lequel le captal et les autres, ordonnèrent et instituèrent à être sénéchal de la Rochelle, et à lui tenir au châtel à trois cents armures de fer et le garder ; car tant comme ils en seroient seigneurs, ceux de la ville ne s’oseroient rebeller.

Cette ordonnance faite, monseigneur le captal qui étoit tout chef et gouverneur de cette chevauchée, et messire Thomas de Percy, messire d’Angouses, messire Richard de Pontchardon, monseigneur le Soudich, messire Berars de la Lande et les autres, et leurs routes, se départirent de la Rochelle ; et pouvoient être environ quatre cents lances ; et prirent le chemin de Soubise ; car là avoit Bretons qui tenoient églises et petits forts, et les avoient fortifiés. Sitôt que ces seigneurs et leurs routes furent là venus, ils les boutèrent hors et en délivrèrent la dite marche.

En ce temps tenoient les champs sur les marches d’Anjou, d’Auvergne et de Berry, le connétable de France, le duc de Berry, le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, le Dauphin d’Auvergne, messire Louis de Sancerre, le sire de Sully, le vicomte de Meaux, le vicomte d’Aunoy, messire Raoul de Raineval, le sire de Cliçon, le sire de Laval, le vicomte de Rohan, le sire de Beaumanoir et grand’foison de baronnie de France, et étoient plus de trois mille lances. Si chevauchèrent tant ces seigneurs, qui se tenoient au connétable, qu’ils entrèrent en Poitou où ils tiroient à venir, et vinrent mettre le siége devant un châtel qui s’appelle Montmorillon. Sitôt qu’ils furent là venus, ils l’assaillirent vitement et roidement, et le conquirent de force, et furent morts tous ceux qui dedans étoient ; si le rafraîchirent d’autres gens. Après ils vinrent devant Chauvigny, qui siéd devant la rivière de Creuse, et l’assiégèrent et y furent deux jours. Au tiers jour ceux de Chauvigny se rendirent, et furent pris à merci. Et après ils chevauchèrent outre et vinrent devant Luzach où il y a ville et châtel. Si se rendirent tantôt sans eux faire assaillir. Et puis s’en vinrent devant la cité de Poitiers et geurent une nuit dedans les vignes : de quoi ceux de la cité étoient moult ébahis, et se doutoient d’avoir le siége. Mais non eurent, tant que à celle fois ; car ils se partirent à lendemain et se trairent devant le châtel de Montcontour, dont Jean Cresuelle et David Hollegrave étoient capitaines, et avoient dessous eux bien soixante compagnons preux et hardis, et qui moult avoient contraint le pays et la marche d’Anjou et de Touraine, et aussi toutes les garnisons françoises. Pourquoi le connétable dit qu’il n’entendroit à autre chose, si l’auroit,