Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCLXXX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 690-691).

CHAPITRE CCCLXXX.


Comment les seigneurs de Haute Gascogne et le comte de Foix se mirent en l’obéissance du roi de France.


Or revenons à la journée de Monsach. Voir est que, quand la moyenne d’août dut approcher, le duc d’Anjou s’en vint devant la ville de Monsach et là se logea et fit loger ses gens par bonne et grande ordonnance ; et avoit en devant prié et mandé gens de tous côtés, chevaliers et écuyers, efforcément. Avec tout ce, le roi de France y envoya grands gens d’armes ; et me fut recordé que, trois jours devant la moyenne d’août et trois jours après, il y eut bien quinze mille hommes d’armes, chevaliers et écuyers, et bien trente mille d’autres gens. Nul ne se comparut ; car il n’y avoit nul grand chef au pays, excepté monseigneur Thomas de Felleton, qui fut trop grandement émerveillé de celle journée, et le débatit longuement et par plusieurs raisons ; et vint en l’ost, quand la moyenne d’août fut passée et la journée expirée, parler au duc d’Anjou et au connétable, sur asségurances ; et leur remontra bien et sagement que le duc de Lancastre et le duc de Bretagne avoient donné le répit parmi ce que la journée de Monsach devoit être ens enclose. Mais on lui prouva tout le contraire ; car à vérité dire il y eut trop peu parlé pour les Anglois ; car le traité de la composition ne faisoit point de mention de Monsach. Si convint monseigneur Thomas de Felleton, voulsist ou non, retourner à Bordeaux et souffrir cette chose à laisser passer. Ainsi avint en ce temps de ses arrière-fiefs. Le comte de Foix entra au service et en l’obéissance du roi de France, et tous les barons et les prélats qui dedans étoient ; et en prit le duc d’Anjou les fois et les hommages ; et quand il s’en sentit bien au dessus, il renvoya les ôtages qu’il tenoit en Pierregort, au comte de Foix, et puis s’en retourna à Thoulouse, quand il eut pris la saisine et la possession de la ville et châtel de Monsach que moult recommanda en son cœur, et le fit depuis remparer et rapparailler, et dit que de Monsach il feroit sa chambre et son garde corps.

Tantôt après la revenue de Monsach à Thoulouse, et que le duc d’Anjou et les barons qui avec lui étoient s’y furent un petit réposés, le dit duc remit sus une autre chevauchée de ces propres gens qu’il avoit tenus toute la saison, et dit qu’il voudroit chevaucher vers la Réole et vers Auberoche, car là étoit encore un grand pays à conquerre qui ne désiroit autre chose. Si se partit de Toulouse le septième jour de septembre l’an de grâce mil trois cent et soixante-quatorze, aussi étoffément et plus que quand il fut en la Haute Gascogne ; et étoient avec lui, par manière de service, l’abbé de Saint-Silvier, le vicomte de Castelbon, le sire de Châtel-Neuf, le sire de l’Escun et le sire de Marsan ; et firent tant par leurs journées qu’ils vinrent devant la Réole. Tout le pays trembloit devant. Cils de la Réole, qui ne désiroient autre chose qu’ils fussent François, s’ouvrirent tantôt et se mirent en l’obéissance du roi de France. Aussi firent cils de Langon, de Saint-Maquaire, de Condon, de Sainte-Bazille, de Pertudaire, de Mauléon, de Dion, de Sebillac, et bien quarante que villes fermées que forts Châteaux qui à point de fait se tournèrent. Et la darraine ville ce fut Auberoche. Ni rien ne se tenoit ni duroit en celle saison devant les François ; et légère chose étoit à faire, car ils désiroient à eux rendre, et si ne leur alloit nul au devant.

En ce temps que ces chevauchées se faisoient, étoient revenus en la marche de Picardie les deux traiteurs légats, et se tenoient à Saint-Omer. Et avoient leurs messages allans et venans en Angleterre devers le roi et son conseil, et aussi à Paris, devers le roi de France, pour impétrer un bon répit ; et en ce répit durant, c’étoit leur entention qu’ils mettroient toutes parties à accord. Et à ce que j’entendis adonc, ils étoient volontiers ouys du roi d’Angleterre et de son conseil, car ils véoient que par toutes les mettes et limitations où ils tenoient terres, villes, châteaux et pays, ils se perdoient à peu de fait pour eux ; et si ne savoient comment donner conseil ni remédier. Et par espécial trop fort déplaisoit au roi d’Angleterre en cœur de ce que le duc de Bretagne avoit ainsi et à petite occasion perdu son héritage pour l’amour de lui. Si travaillèrent tant ces deux légats que le roi d’Angleterre accorda que son fils, le duc de Lancastre, passeroit mer et viendroit à Calais pour ouyr et savoir pleinement quelle chose les François vouloient dire. Aussi le roi de France accorda et scella que son frère, le duc d’Anjou, viendroit contre lui à Saint-Omer, et par le moyen de discrètes et vénérables personnes, l’archevêque de Ravenne et l’évêque de Carpentras, ils se lairoient conseiller et gouverner. Si que, si très tôt que le duc d’Anjou, les barons de France et de Bretagne eurent fait cette darraine chevauchée ils furent coiteusement remandés du roi de France, et escript, que, tantôt et sans délai, ils retournassent en France, et que il avoit accordé son frère à être contre celle Toussaints à Saint-Omer ; car le duc de Lancastre devoit être à Calais, et il touchoit grandement aux barons de Bretagne pour le fait de Becherel. Le duc d’Anjou, le connétable de France, le sire de Cliçon et les autres se partirent de Rouergue au plus tôt qu’ils purent, les lettres du roi vues et ouyes, sans tourner à Toulouse, et donnèrent congé à toutes manières de gens d’armes de lointaines marches, et ne retint avec lui le duc fors les Bretons : si s’en retourna en France[1] où il fut grandement fêté et conjouy, et toute sa compagnie, du roi et de tout son conseil.

  1. Le duc d’Anjou ne revint en France que vers le commencement du mois de mars de l’année suivante, 1375. Il ne put donc arriver à temps pour se trouver à l’ouverture des conférences qui avaient commencé dans les deux derniers mois de l’année précédente. Il est même prouvé, par les chartes des trêves conclues dans le cours de l’année 1375, qu’il n’eut part à aucune des négociations dont elles furent le fruit, ainsi qu’on peut s’en convaincre en parcourant les différentes chartes que Rymer a publiées dans son recueil. Froissart aura probablement confondu ces négociations avec celles qui eurent lieu au commencement de l’année 1376, et procurèrent une prolongation de trêve, et dans lesquels le duc d’Anjou joua effectivement le principal rôle. La charte de cette prolongation a été pareillement publiée par Rymer.