Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCLXXIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 689-690).

CHAPITRE CCCLXXIX.


Comment se partit le duc de Lancastre pour Angleterre, et comment demeura le chastel de Becherel en composition aux François.


Quand cette trêve fut accordée par l’aide et pourchas des légats dessus nommés, le duc de Lancastre et le duc de Bretagne s’ordonnèrent à partir et retourner en Angleterre, car ils avoient été jà près d’un an hors ; et aussi toutes leurs gens le désiroient ; et si tiroit le duc de Bretagne que il pût avoir une année à part lui pour arriver en Bretagne et conforter aucunes forteresses qui se tenoient en son nom et lever le siége de Becherel ; car moult désiroit à avoir nouvelles de sa femme qu’il avoit laissée au châtel d’Auroy en la garde de monseigneur Jean Augustin. Si que ces choses aidèrent moult à ce que le duc de Lancastre se partit. Si institua et ordonna à son département, à être grand sénéchal de Bordeaux et de Bordelois, monseigneur Thomas de Felleton, et pria aux barons de Gascogne qui pour lui se tenoient, que ils voulsissent obéir à lui comme à son lieutenant, et tellement conseiller que ils n’y eussent point de blâme ni il point de dommage. Ils lui eurent tout en couvent de bonne volonté. Et sur cel état se départit, et toute sa route, et s’en retournèrent en Angleterre[1]. De ce département ne furent mie courroucés le duc d’Anjou, le connétable, ni les seigneurs de France qui à Pierregort se tenoient ; car leur intention de la journée de Monsach en fût grant grandement embellie.

Or parlerons un petit du siége de Becherel, qui s’étoit tenu un an et plus sans ceux de la garnison être nient rafraîchis ; car ils étoient si près guettés de tous côtés que rien ne leur pouvoit venir ; et si ne leur apparoit confort de nul côté. Quand ils virent que leurs pourvéances commencèrent à affoiblir, et que longuement ils ne pouvoient demeurer en cel état, ils se avisèrent que ils traiteroient un répit devers ces seigneurs de France et de Normandie qui là tenoient le siége, que : si ils n’étoient confortés de gens forts assez pour combattre les François dedans le jour de la Toussaint, ils rendroient la forteresse : si envoyèrent un hérault pour mouvoir celui traité. Le maréchal de Blainville et les seigneurs qui là étoient, répondirent à ce commencement, que nul traité n’appartenoit à eux à donner ni ouïr sans le sçu du roi de France, mais volontiers envoyeroient devers lui et lui signifieroient tout cel état. Le hérault rapporta cette réponse aux capitaines de Becherel, monseigneur Jean Appert et monseigneur Jean de Cornouaille. Si leur plut bien cette réponse, et aussi que ils envoyassent hâtement devers le roi de France. Finablement ils y envoyèrent ; et rescripsit le roi à ses maréchaux, monseigneur Louis de Sancerre, et monseigneur de Blainville et les barons qui là étoient, que de toutes compositions ils en fissent à leur ordonnance, et que il les tenoit et tiendroit à bonnes. Donc fut persévéré le traité devant pourparlé, et accordé et donné répit à ceux de dedans, et cils de dedans à ceux de dehors, à durer jusques à la Toussaint ; et si là en dedans l’un des fils du roi d’Angleterre, ou le duc de Bretagne ne venoient si forts que pour lever le siége, ils devoient rendre le châtel de Becherel aux François ; et de ce livroient-ils bons ôtages, chevaliers et écuyers, tant que les seigneurs de France et de Normandie qui là se tenoient s’en contentèrent bien. Ainsi demeura le châtel de Becherel en composition, et signifièrent tout leur état les deux chevaliers qui dedans étoient, au plus tôt qu’ils purent, au roi d’Angleterre et au duc de Bretagne et aussi aux comtes et aux barons d’Angleterre : si sembla aux Anglois qu’ils avoient encore journée assez ; si le mirent en non-chaloir, excepté le duc de Bretagne auquel il touchoit plus que à nul des autres : car le châtel se rendoit de lui et de son héritage.

  1. Suivant les Chroniques de France, le duc de Lancastre s’embarqua pour l’Angleterre au mois d’avril.