Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XCV

Livre I. — Partie I. [1339]

CHAPITRE XCV.


Comment le roi d’Angleterre tint un grand parlement à Bruxelles ; et de la requête qu’il y fit aux Flamands.


Or parlerons-nous un petit du roi anglois, et comment il persévéra en avant. Depuis qu’il fut parti de la Flamengerie et revenu en Brabant il s’en vint droit à Bruxelles : là le reconvoyèrent le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le marquis de Brankebourch, le comte de Mons, messire Jean de Hainaut, le sire de Fauquemont et tous les barons de l’Empire, qui s’étoient alliés à lui ; car ils vouloient aviser l’un contre l’autre comment ils se maintiendroient de cette guerre où ils s’étoient boutés. Et pour avoir certaine expédition, ils ordonnèrent un grand parlement à être en la dite ville de Bruxelles ; et y fut prié et mandé Jacques d’Artevelle, lequel y vint liement et en grand arroy, et amena avec lui tous les conseils des villes de Flandre. À ce parlement qui fut à Bruxelles[1] eut plusieurs paroles dites et devisées ; et me semble, à ce qui m’en fut recordé, que le roi anglois fut si conseillé de ses amis de l’Empire qu’il fit une requête à ceux de Flandre, qu’ils lui voulussent aider à parmaintenir sa guerre, et défier le roi de France, et aller avec lui partout où il les voudroit mener ; et si ils vouloient il leur aideroît à recouvrer Lille, Douay, et Béthune. Cette parole entendirent les Flamands volontiers ; mais de la requête que le roi leur faisoit demandèrent-ils à avoir conseil entre eux tant seulement, et tantôt répondre. Le roi leur accorda. Si se conseillèrent à grand loisir ; et quand ils se furent conseillés, ils répondirent et dirent : « Cher sire, autrefois nous avez-vous fait telles requêtes, et sachez voirement que, si nous le pouvions nullement faire, par notre honneur et notre foi garder, nous le ferions ; mais nous sommes obligés, par foi et serment et sur deux millions de florins à la chambre du pape, que nous ne pouvons émouvoir guerre au roi de France, quiconque le soit, sans être encourus en cette somme, et écheoir en sentence d’excommuniement ; mais si vous voulez faire une chose que nous vous dirons, vous y pourverriez bien de remède et de conseil ; c’est que vous veuilliez encharger les armes de France et équarteler d’Angleterre, et vous appeler roi de France, et nous vous tiendrons pour droit roi de France, et obéirons à vous comme au roi de France, et vous demanderons quittance de notre foi ; et vous la nous donnerez comme roi de France : par ainsi serons-nous absous et dispensés, dirons partout là où voudrez et ordonnerez. »

  1. On a vu ci-dessus, à la fin de la lettre d’Édouard, que tous ses alliés devaient s’assembler à Anvers le lendemain de la Saint-Martin. Peut-être que le lieu le l’assemblée fut changé, ou bien qu’on s’assembla d’abord à Bruxelles et eusuite à Anvers.