Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XCVI

Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE XCVI.


Comment le roi d’Angleterre enchargea les armes et le nom de roi de France par l’ennortement des Flamands.


Quand le roi anglois eut ouï ce point et la requête des Flamands, il eut besoin d’avoir bon conseil et sûr avis, car pesant lui étoit de prendre le nom et les armes de ce dont il n’avoit encore rien conquis ; et ne savoit quelle chose l’en aviendroit, ni si conquerre le pourroit. Et d’autre part il refusoit ennuis le confort et aide des Flamands, qui plus le pouvoient aider à sa besogne que tout le remenant du siècle. Si se conseilla ledit roi au duc de Brabant, au duc de Guerles, au marquis de Juliers, à messire Jean de Hainaut, à messire Robert d’Artois et à ses plus secrets et espéciaux amis : si que finalement tout pesé, le bien contre le mal, il répondit aux Flamands, par l’information des seigneurs dessus dits : que si ils lui vouloient jurer et sceller qu’ils lui aideroient à parmaintenir sa guerre, il emprendroit tout ce de bonne volonté, et aussi il leur aideroit à ravoir Lille, Douay et Béthune. Et ils répondirent : « Oil[1]. » Donc fut pris et assigné un certain jour à être à Gand. Lequel jour se tint ; et y fut le roi d’Angleterre et la plus grand’partie des seigneurs de l’Empire dessus nommés alliés avec lui ; et là furent tous les conseils de Flandre généralement et espécialement. Là furent toutes les paroles au devant dites relatées et proposées, entendues, accordées, écrites et scellées ; et enchargea le roi d’Angleterre les armes de France et les équartela d’Angleterre ; et en prit en avant le nom de roi de France ; et l’obtint, tant qu’il le laissa par certaine composition, ainsi que vous orrez en avant recorder en cette histoire.

  1. Ceci dut se passer au commencement de janvier 1340. Le pouvoir donné par Édouard à Guillaume de Montagu, comte de Salisbury, à Henri de Ferrers son chambellan et à Geoffroi de Scrop, chevalier, pour conclure en son nom un traité d’alliance avec les Flamands, à condition qu’ils le reconnaîtraient pour roi de France, est daté du 4 du même mois de janvier. Il en prit bientôt le titre dans les actes publics : on en trouve un du 26 de ce mois, qui est daté de la première année de son règne en France. Le 8 février suivant, il notifia à tous les Français le droit qu’il prétendait avoir à la couronne de France, les invitant à le reconnaître pour leur souverain, à l’exemple des Flamands ; et il publia en même temps un manifeste dans lequel il essaye de justifier les motifs qui l’ont déterminé à prendre le titre de roi de France et à revendiquer le royaume sur Philippe de Valois.