Les Chants du bivouac/Chez Jehanne

Texte établi par Avec une préface de M. Maurice BarrèsLibrairie Payot et Cie (p. 159-164).


CHEZ JEHANNE














 


 

CHEZ JEHANNE,

à domrémy

Quand, « dans le royaume de France,
11 y a vraiment grand’pitié » ;
Lorsque le Doute et l’Espérance
Partagent nos cœurs par moitié ;

À l’heure où tout le long des routes
Tant et tant d’émigrés dolents,
Courbés sous le vent des déroutes,
Vont, fuyant devant les Hulans ;


Afin de retremper mon âme.
Reforger mon cœur et ma foi,
Ô Jeanne ! à ta divine flamme,
Vois : je m’en suis venu vers loi.

Au loin — sur Bar — le canon tonne ;
Dans son jardinet tout en fleurs
Ta petite maison s’étonne ;
Ses murailles suintent des pleurs ;

Or, par ce matin de septembre,
Entré chez toi tout soucieux,
Voici que je sors de ta chambre
Le front clair et le cœur joyeux.

C’est que — guidé par toi peut-être, —
Comme d’instinct, sans y songer,
J’ai couru jusqu’à ta fenêtre
Donnant sur ton petit verger,

Et que soudainement — si proches ! —
Trois cloches sonnant à la fois,
Se mêlèrent au chant des cloches
Des voix, Jeanne, des voix : tes Voix ;

Voix de tes saintes, douces, fortes.
Planant toujours sur Domrémy,
Chères Voix que l’on croyait mortes,
Quand leur son n’était qu’endormi ;


Voici que, soudain, réveillées
Par le bruit double de l’airain,
(Canonnade et carillonnées),
Par-dessus le pays lorrain,

À la « doulce France » envahie,
Elles criaient : « Sursum Corda !
Va, va toujours ! Même meurtrie,
Va, bataille le bon Combat !

» La Victoire n’est pas prochaine :
11 faut lutter, souffrir encor…
Qu’importe ! puisqu’elle est certaine,
Au ciel inscrite en lettres d’or ;

» Courage ! le grand jour se lève,
Car Dieu le veut qui veille là :
Dieu de Jeanne et de Geneviève
Et non pas celui d’Attila ! »

Puis, les douces Voix entendues
Moururent avec l’Angélus ;
Les Voix des Saintes s’étaient tues,
Mes sens ne les percevaient plus

Que mon cœur entendait encore
Avec la foi des vieux Croisés
L’annonce de la grande Aurore
Promise à nos cœurs angoissés.


Alors, baisant avec tendresse
Ses quatre dalles de granit,
Fou d’espoir, ivre d’allégresse,
Je repassai le seuil béni :

« Merci, Jeanne ! Adieu, bonnes Saintes !
À Domrémy nous reviendrons
L’an prochain, les haines éteintes
Et bouté dehors l’Ennemi ! »