Les Cantilènes/Tidogolain

Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 215-219).




TIDOGOLAIN


TIDOGOLAIN


La Dame — en robe grivelée —
Par le verger s’en fut allée.
Belle de corps et d’air hautain,
Les yeux comme cieux du matin ;
Au col un collier de cinq onces,
Et dans ses cheveux de jaconces
Un large cercle d’or battu,
Avec des pierres de vertu.


Or, portant le bracet fidèle
Un nain marchait à côté d’elle,
Un nain ni tant fol ni vilain
Qui avait nom Tidogolain :

« J’ai fin samit. Au doigt j’ai rubacelle,
J’ai daguette à pommeau de diamant.
De doubles d’or lourde est mon escarcelle ;
Sur mon chapel et plume et parement.
Las ! Réjoui ne suis aucunement:
Que fait-il, Faste, et que fait Opulence ?
Amour occit mon cœur de male lance.

J’ai destrier qui, sans qu’on le harcèle,
Bondit crins hauts et le naseau fumant;
Le frein de gemmes et d’argent ruisselle,
De pourpre est le caparaçonnement.
Las ! Sans armet, ma tête dolemment
Penche, et mon bras de fer est sans vaillance.
Amour occit mon cœur de male lance.


Anne, Briande, et Doulce la pucelle
Aux cheveux blonds, plus blonds que le froment,
Et la Dame de Roquefeuilh, et celle
Pour qui mourut le roi de Dagomant,
M’offrent joyeux réconfort ; mais comment
Auraient-elles à mes yeux précellence ?
Amour occit mon cœur de male lance.

Princesse, pouvez seule à mon tourment
Porter nonchaloir et allègement,
Car c’est de la tour de votre inclémence
Qu’amour occit mon cœur de male lance. »

Ainsi chanta Tidogolain
Le nain ni tant fol ni vilain.
(Dans l’air tiédi de la venelle
Fluaient des senteurs de canelle,
De spicpètre et de serpolet.)
Et la dame dit : ce me plaît.