Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 221-231).
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MÉLUSINE


MÉLUSINE


Raimondin chevauche et son cheval l’emporte,
Les rênes au col, à travers les futaies.
Le vent berce sur l’eau l’ombre des futaies ;
Sur l’eau la lune est blanche comme une morte.


Moins blanc sur l’eau le clair de la lune flotte,
moins blanc que le visage dolent du comte.
Bien dolent, bien dolent est le cœur du comte.
Dans la futaie et sur l’eau le vent soufflotte :

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« Les unes, sous les hauts hennins,
L’œil à mainte feintise idoine,
Aux traînes que portent des nains
Par les escaliers de sardoine ;

D’autres, dont la grâce florit
Comme une branche neuve, et toutes ;
Et la pucelle qui sourit
Au chevalier vainqueur des joutes :


Festins mentis aux affamés,
Promise nef qui soudain cule,
Leurres de fleuves tôt humés
Dans la hagarde canicule…

Indicible, et le front vêtu
De pierres gemmes en guirlande,
Par quel géant gardée es-tu
Aux grottes de Nortoberlande,

La prime et l’ultime, et pennon
Où l’aure des promesses joue,
Et molette de bon renom
Brochant le désir qui s’ébroue ! »

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Le vent berce sur l’eau l’ombre du bouleau,
Le vent berce la blanche lune sur l’eau.


De la futaie une gente dame sort,
Très doucement elle chante un très doux chant ;
Le comte a le cœur abusé du doux chant,
Le comte ne sait pas s’il veille ou s’il dort :

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« Les papemors dans l’air violet
Vont, et blonds et blancs comme du lait.
Blonde suis, blanche comme du lait,
En gone de velours violet.

Les diaspes et les caldonies
Dardent sur mes tresses infinies.
Mes pers yeux, mirances infinies,
Fanent diaspes et caldonies.


Feuilles et pétales parfumés,
Montent, montent les rosiers ramés.
Ainsi que fleurs aux rosiers ramés,
A mon buste mes seins parfumés.

Des citoles avec des saltères
Frémissent aux soirs des périptères.
Ma parole aux soirs des périptères
Fait taire citoles et saltères :

Targe sur les dangers ennemis
Et bel-accueil ceux-là sont promis,
Sire comte, à votre vœu promis
Plus haut que les pensers ennemis. »


II


Le vent souffle, souffle à travers la boulaie,
Le cheval porte Raimondin, à sa guise.
Sans qu’il lui tire la bride ou le conduise,
Le cheval galope à travers la boulaie.


Le comte est pâle comme un mort sous le heaume,
Sous le haubert dur son cœur garde une plaie.
Le vent souffle, souffle à travers la boulaie.
Elle frissonne au vent, l’aigrette du heaume :

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« Sur le haut lit par l’évêque bénit, et fleuri
D’écarlates tentures de Constantinople,
— Le si doux chant chantait juste, — la Dame a guéri
Mon cœur, de sa main, ambre de Constantinople,
De ses clairs yeux, écus d’or et de sinople.

Sur l’oreiller par l’évêque bénit, tout brodé
D’oisillons volants, sous les lambrequins en dôme,
— Le si doux chant chantait juste, — mon rêve a goûté
Parmi la pompe de sa chevelure en dôme,
Le sûr fruit de son corps, magistère et baume.


Las ! Las ! Trop tard, trop tôt la Male-Bouche parla ;
le Mal-Souci parla de Forfait et de Rite.
Mon dieu, se pourrait-il, oh ! Se pourrait-il cela,
hideux simulacre et démoniaque rite,
sur la couette par l’évêque bénite ! »

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Le vent berce sur l’eau l’ombre du bouleau.
De la futaie un triste, triste chant monte.
Le vent berce la blanche lune sur l’eau.
Il ne sait pas s’il veille ou s’il dort, le comte.

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« Spectre clément à la vie, et comme
De se voir réel il avait peur ;
Ah ! grand’peur il avait du labeur
Opiniâtre et failli de l’homme.


L’Anacampsérote au suc vermeil
est éclose : au cœur las panacée ;
au flux de son aile cadencée
l’Iynge berce l’amer sommeil.

Mais le Jaloux, dont la voix incite,
s’essore des marges du Missel
et dit : qu’il nous faut rompre le scel
de l’incantation illicite.

Alors c’est la chute et le confin
Du fier Palais qu’abritait la Nue ;
Et voici qu’Entélékhia nue
Rampe en le Jour vertical et vain. »