Les Cantilènes/La mauvaise mère

Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 153-157).
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LA MAUVAISE MÈRE


Et le cour se mit à périr du fond du plat.

Chanson candiote.


Dans son jardin d’été,
Parmi les lauriers blancs,
Dans son jardin d’été,
Parmi les lauriers roses ;

Dans son jardin d’été
La belle se repose,
Parmi les lauriers blancs,
Parmi les lauriers roses.


Assis à son côté,
Un étranger lui cause,
Lui cause tendrement
Parmi les lauriers blancs.

— « Mère, pourquoi causer
Avec un étranger,
Parmi les lauriers roses
Dans le jardin d’été !

— Au bord du fleuve bleu
Où mouillent les frégates,
Mon fils, va donc jouer
Avec tes camarades.

— Je vais dire à mon père
Que tu causais, ma mère,
Avec un étranger,
Dans le jardin d’été.


— Mon fils, viens dans ma chambre
Et je te donnerai
Du musc et des grains d’ambre,
Mon fils, viens dans ma chambre. »

Elle l’égorge ainsi
Qu’un agneau le boucher,
Elle arrache son cœur,
Le donne au cuisinier.

Voilà que son mari
Par la plaine revient,
Il revient de la chasse
Avec ses vingt-deux chiens.

Il apporte des lièvres
Et des chevreuils tués,
Pour son fils il apporte
Un cerf apprivoisé.


— « Femme, dis à mon fils
De venir me trouver,
C’est pour lui que j’apporte
Le cerf apprivoisé.

— Ton fils est à jouer
Avec ses camarades ;
Ton fils est à jouer,
Viens boire et viens manger. »

Elle lui verse à boire
Dans un vase d’argent
Et lui sert à manger
Le cœur de son enfant.

Et le cœur parle et dit :
« Qu’un mécréant me mange ! »
Et le cœur parle et dit :
« Que mon père m’embrasse. »


Il égorge sa femme
Avec ses propres mains,
Il arrache son cœur
Et le jette à ses chiens.