Les Bastonnais/03/19

Traduction par Aristide Piché.
C-O Beauchemin & fils (p. 205-207).

XIX
près-de-ville.

Tout était prêt. On n’attendait plus qu’une chose : une « tempête de neige. » Elle vint enfin, à l’aurore du 31 décembre. L’armée se mit aussitôt en ordre de bataille, et vers deux heures, toutes les mesures de Montgomery étaient prises. Échelles, lances, hachettes et grenades portatives : tout était prêt. Voici quel était le plan de bataille. Montgomery, à la tête d’une division, devait attaquer la basse ville du côté de l’ouest. Arnold, à la tête de la seconde division, était chargé d’attaquer la basse ville du côté de l’est, et tous deux devaient se rencontrer au pied de la côte de la montagne, qu’ils devaient gravir ensemble, escaladant les barricades élevées sur l’emplacement de la porte de Prescott, pour se répandre comme un torrent qui a rompu victorieusement ses digues, dans la haute ville. En attendant, Livingston, avec un régiment de Canadiens, et Brown avec partie d’un régiment de Boston devaient diriger de fausses attaques sur le bastion du cap Diamant, et les portes Saint-Jean et Saint-Louis qu’ils devaient livrer aux flammes, s’il était possible, avec du combustible préparé à cet effet.

Suivons d’abord Montgomery. S’avançant de son quartier général établi à Holland House, il traversa les plaines d’Abraham, descendit dans l’anse de Wolfe et, de là, remonta l’étroite route située entre le fleuve et le haut promontoire du cap Diamant. La nuit était noire comme de l’encre ; un ouragan de neige aveuglait ceux qui s’exposaient à sa furie et une bise glaciale amoncelait des bancs de neige sur le chemin. L’héroïque colonne s’avança silencieusement, en dépit de la terrible tempête jusqu’à un endroit appelé Près-de-Ville, le point le plus étroit à l’entrée de la basse-ville. Là, elle fut arrêtée par une barrière consistant en une construction de troncs d’arbres contenant une batterie de pièces de trois. Le poste était commandé par deux Canadiens, Chabot et Picard, qui avaient sous leurs ordres trente hommes de milice de leur nationalité. Quelques matelots anglais faisaient fonction d’artilleurs sous le commandement du capitaine Barnsfare et du sergent McQuarters. Montgomery n’hésita pas un instant. Ordonnant à ses sapeurs de mettre la hache à quelques poteaux qui obstruaient le chemin de la barricade, il les abattit de ses propres mains. Tirant ensuite son épée, il se mit à la tête d’une poignée de braves compagnons, sauta par dessus des bancs de glace et de neige et s’élança à la charge ;
mais des yeux vigilants brillaient aux embrasures du fortin ; la mèche fut allumée, le mot de commandement trembla sur des lèvres étroitement serrées. Lorsque les Américains arrivèrent à la distance de quarante pas, Barnsfare s’écria : « feu ! » et une volée de mitraille balaya l’espace ouvert. Une seule volée, mais certainement la plus fatale qui soit jamais sortie de la bouche d’un canon. Jamais décharge ne fut plus terriblement décisive.

L’air retentit des plaintes des blessés et des mourants. Treize corps étaient étendus sur un drap de neige. Le premier de ces cadavres était celui de Montgomery. Il y eut un moment de silence, puis les fusils et les canons du petit fort vomirent une grêle de projectiles, sans nécessité d’ailleurs, car la colonne d’assaut, stupéfiée par ce premier désastre, retraita en désordre et revint précipitamment se mettre à l’abri dans l’anse de Wolfe.

Lorsque le jour parut et que la nouvelle du combat arriva aux autorités de la haute ville, un détachement commandé par James Thompson, le conducteur des travaux, sortit pour inspecter le champ de bataille. Comme la neige avait continué de tomber, elle ne laissait plus apercevoir qu’une partie d’un seul cadavre, celui de Montgomery lui-même dont le bras gauche était resté levé, mais le corps était replié sur lui-même, les genoux relevés jusqu’à la figure. À ses côtés gisaient ses deux braves aides, McPherson et Cheeseman, et un sergent. Tous ces cadavres étaient raidis par la gelée. On trouva tout auprès le sabre de Montgomery. Un jeune tambour s’en empara, mais Thompson se le fit remettre et cette arme est restée jusqu’à ce jour dans sa famille comme un héritage.

Meigs, qui servait sous les ordres de Montgomery, lui a rendu cet affectueux témoignage : « Il était de haute taille et svelte, bien membré, d’un commerce aimable, gracieux, aisé et en même temps viril ; il possédait l’estime, la confiance et l’affection de toute l’armée. Sa mort, tout honorable qu’elle est, est amèrement déplorée, non seulement parce qu’elle est celle d’un digne et charmant ami, mais encore d’un général brave et expérimenté ; tout le pays souffre beaucoup d’une telle perte, à ce moment. Sa bonté native et la droiture de son cœur se manifestaient aisément dans ses actions. Ses sentiments, qui se faisaient jour en toute occasion étaient empreints de cette bonté sans affectation, indice de l’excellence du cœur dont ils découlaient. »

Montgomery avait dit : « Nous mangerons notre dîner de Noël à Québec. »

Hélas !