Les Aventures de Til Ulespiègle/LIII
CHAPITRE LIII.
mouillées, ainsi que le fourreur le lui
avait commandé.
e fourreur s’en alla tout joyeux se coucher
avec sa femme. Ulespiègle prit les peaux préparées
qui étaient pendues aux séchoirs,
puis les peaux sèches et les peaux fraîches, et porta
le tout ensemble au grenier. Puis il se glissa au milieu
du tas et dormit jusqu’au matin. Le maître se leva,
et vit que les peaux qui étaient étendues avaient
disparu. Il courut vite au grenier, pour demander à
Ulespiègle s’il savait ce qu’elles étaient devenues. Mais il ne le trouva pas, et il vit que les peaux sèches
et fraîches étaient mêlées ensemble sur le plancher
en un gros tas, les unes avec les autres. Il en fut
extrêmement chagrin, et il appela en pleurant sa
servante et sa femme, ce qui éveilla Ulespiègle,
qui cria du milieu du tas de peaux : « Cher maître,
qu’avez-vous, pour crier si fort ? » Le fourreur fut
tout étonné ; il ne savait ce qu’il y avait dans le
tas de peaux ; il dit : « Où es-tu ? – Je suis ici, »
dit Ulespiègle. Le maître lui dit : « Ah ! que jamais
bien ne t’arrive ! Tu as pris les peaux préparées et
les peaux sèches et celles qui étaient toutes mouillées
de graisse, et tu as tout mis ensemble et gâté
les unes avec les autres ? Qu’est-ce que cette folie ? –
Comment maître, dit Ulespiègle, vous fâchez-vous
pour cela ? Je n’y ai encore couché qu’une nuit.
Vous vous fâcherez bien davantage quand j’y aurai
couché pendant quatre nuits, comme vous m’avez
dit de faire pour m’habituer à l’ouvrage. – Tu mens
comme un mauvais garnement, dit le fourreur ; je
ne t’ai pas dit de porter les peaux préparées au
grenier, de retirer les peaux mouillées de la cuve et
de mettre le tout ensemble pour dormir dedans. »
Ce disant, il cherchait un bâton pour le battre.
Ulespiègle se mit à descendre pour se sauver. En ce
moment la dame et la servante montaient l’escalier,
et voulurent le retenir. Il leur cria vivement : « Laissez-moi
courir chez le médecin ; mon maître s’est
cassé la jambe ! » En entendant cela, elles le laissèrent
aller, et montèrent vite l’escalier. À ce moment le maître descendait, courant après Ulespiègle ; il
heurta sa femme et sa servante, et tous trois roulèrent
jusqu’au bas des degrés. Ulespiègle les laissa
là et s’enfuit.