Les Aventures de Til Ulespiègle/LIII

Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 132-134).

CHAPITRE LIII.


Comment Ulespiègle coucha dans les peaux, sèches et
mouillées, ainsi que le fourreur le lui
avait commandé.



Le fourreur s’en alla tout joyeux se coucher avec sa femme. Ulespiègle prit les peaux préparées qui étaient pendues aux séchoirs, puis les peaux sèches et les peaux fraîches, et porta le tout ensemble au grenier. Puis il se glissa au milieu du tas et dormit jusqu’au matin. Le maître se leva, et vit que les peaux qui étaient étendues avaient disparu. Il courut vite au grenier, pour demander à Ulespiègle s’il savait ce qu’elles étaient devenues. Mais il ne le trouva pas, et il vit que les peaux sèches et fraîches étaient mêlées ensemble sur le plancher en un gros tas, les unes avec les autres. Il en fut extrêmement chagrin, et il appela en pleurant sa servante et sa femme, ce qui éveilla Ulespiègle, qui cria du milieu du tas de peaux : « Cher maître, qu’avez-vous, pour crier si fort ? » Le fourreur fut tout étonné ; il ne savait ce qu’il y avait dans le tas de peaux ; il dit : « Où es-tu ? – Je suis ici, » dit Ulespiègle. Le maître lui dit : « Ah ! que jamais bien ne t’arrive ! Tu as pris les peaux préparées et les peaux sèches et celles qui étaient toutes mouillées de graisse, et tu as tout mis ensemble et gâté les unes avec les autres ? Qu’est-ce que cette folie ? – Comment maître, dit Ulespiègle, vous fâchez-vous pour cela ? Je n’y ai encore couché qu’une nuit. Vous vous fâcherez bien davantage quand j’y aurai couché pendant quatre nuits, comme vous m’avez dit de faire pour m’habituer à l’ouvrage. – Tu mens comme un mauvais garnement, dit le fourreur ; je ne t’ai pas dit de porter les peaux préparées au grenier, de retirer les peaux mouillées de la cuve et de mettre le tout ensemble pour dormir dedans. » Ce disant, il cherchait un bâton pour le battre. Ulespiègle se mit à descendre pour se sauver. En ce moment la dame et la servante montaient l’escalier, et voulurent le retenir. Il leur cria vivement : « Laissez-moi courir chez le médecin ; mon maître s’est cassé la jambe ! » En entendant cela, elles le laissèrent aller, et montèrent vite l’escalier. À ce moment le maître descendait, courant après Ulespiègle ; il heurta sa femme et sa servante, et tous trois roulèrent jusqu’au bas des degrés. Ulespiègle les laissa là et s’enfuit.