Les Avadânas, contes et apologues indiens/86

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 43-47).

LXXXVI

L’HOMME RICHE ET LES VRAIES PERLES.

(On n’obtient rien sans peine.)


Il y avait jadis un maître de maison qui était extrêmement riche. Il possédait toute sorte de choses précieuses, à l’exception des vraies perles[1]. Il ne pouvait s’en consoler. En conséquence, il emmena plusieurs personnes, et s’embarqua avec elles pour aller pêcher des perles. Après avoir traversé bien des dangers, il arriva dans un endroit abondant en perles. Il se piqua le corps et recueillit le sang, qui sortait de sa blessure, dans un sac imperméable qu’il suspendit au fond de la mer. Les huîtres à perles ayant senti l’odeur du sang, vinrent pour le sucer. Il put alors se procurer de précieuses huîtres, les ouvrit et en retira des perles. Après trois ans de recherches assidues, il en trouva de quoi orner une ceinture, puis il retourna encore au bord de la mer. Ses compagnons voyant qu’il avait trouvé des perles d’un grand prix, formèrent le projet de le faire périr. Étant sortis tous ensemble pour puiser de l’eau, ils poussèrent cet homme dans un puits qu’ils recouvrirent, et s’en allèrent. Le maître de maison tomba au fond du puits. Quelque temps après, il aperçut un lion qui sortait d’une caverne voisine pour venir se désaltérer, et il fut saisi d’effroi. Quand le lion se fut retiré, il s’échappa par une cavité souterraine et revint dans son pays. Ses compagnons étant revenus aussi, il les appela et leur dit : « Vous vous êtes emparés de ma ceinture de perles, et comme personne ne vous voyait, vous avez voulu me faire périr. Si vous désirez que je garde un profond silence sur cet attentat, rendez-moi mes joyaux ; je vous promets de ne jamais vous dénoncer. »

Ces hommes furent tellement effrayés qu’ils lui rendirent toutes ses perles. Le maître de maison ayant recouvré toutes les perles qui lui avaient été enlevées, les rapporta dans sa demeure. Il avait deux enfants qui se mirent à jouer avec ces perles. Ils se demandèrent entre eux : « D’où viennent ces perles ? »

L’un d’eux dit : « Elles sont nées dans notre sac. « L’autre dit : « Elles sont nées dans notre jarre. »

Ce que voyant le père, il ne put s’empêcher de rire. Sa femme lui en ayant demandé la cause, il lui répondit : « J’ai trouvé ces perles à force de peines et de fatigues. Ces petits enfants les ont obtenues de moi, mais ils ignorent toutes les circonstances, et disent qu’elles sont nées dans un sac ou dans une jarre. »

Le Bouddha dit à Ananda : « Vous voyez seulement que je suis devenu Bouddha, mais vous ignorez que je n’ai obtenu cette dignité qu’après m’être livré, depuis un nombre infini de kalpas jusqu’à ce jour, aux études les plus assidues et aux austérités les plus pénibles. Et vous dites que c’est chose facile ! Vous ressemblez à ce petit garçon qui disait que les perles étaient nées dans une jarre.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tchou-king-siouen-tsi-pi-yu-king.)
  1. Le texte porte Tch’i-tchin-tchou, expression qui répond, dans le Si-yu-ki, au mot sanscrit Padmarâga, rubis. Il est évident qu’il n’est point question ici de rubis, puisque ce maître de maison, pour obtenir ce qui lui manque, va chercher dans la mer des huîtres à perles.