Les Avadânas, contes et apologues indiens/69

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 233-235).


LXIX

L’HOMME QUI A PERDU UNE ÉCUELLE D’ARGENT.

(Des hommes stupides.)


Un homme s’était embarqué sur un navire. Comme il traversait la mer, il laissa tomber dans l’eau une écuelle d’argent. Il se dit en lui-même : » Je vais aujourd’hui tirer une ligne sur l’eau pour y faire une marque. Je laisserai mon écuelle et m’en irai. Plus tard, je viendrai la reprendre. »

Après deux mois de navigation, il arriva au royaume de Sinhala (Ceylan). Ayant vu un fleuve, il entra au milieu et se mit à chercher l’écuelle qu’il avait perdue. Quelques personnes lui demandèrent ce qu’il faisait : « Précédemment, répondit-il, j’ai perdu une écuelle d’argent. Aujourd’hui, je veux la chercher et la reprendre.

— En quel endroit l’avez-vous perdue ? lui demandèrent-ils.

— Je l’ai perdue lorsque je commençais à naviguer.

— Depuis quand l’avez-vous perdue ?

— Depuis deux mois.

— Si vous l’avez perdue depuis deux mois, pourquoi la chercher ici ?

— Au moment où je l’ai perdue, j’ai tracé une ligne sur l’eau pour y faire une marque ; et comme l’eau sur laquelle j’ai tracé cette ligne n’était pas différente de celle-ci, voilà pourquoi je la cherche en cet endroit. »

C’est ainsi qu’agissent les hérétiques. Ils ne tiennent point une conduite régulière et se contentent de l’apparence de la vertu ; de plus, ils ont recours à des moyens violents et à des austérités pénibles pour obtenir la délivrance finale. Ils ressemblent à cet homme stupide qui avait perdu une écuelle dans un endroit et la cherchait dans un autre.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : le Livre des cent comparaisons, Pe-yu-king, partie I.)