Les Avadânas, contes et apologues indiens/54

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 194-196).


LIV

LES SINGES ET LA MONTAGNE D’ÉCUME.

(De ceux qui sont aveuglés par la cupidité.)


Il y avait jadis deux rois des singes qui commandaient chacun à cinq cents singes. L’un d’eux conçut des sentiments d’envie contre son rival et voulut le tuer, il dressa secrètement ses plans et alla lutter contre lui. Ayant échoué dans plusieurs rencontres, il fut honteux de sa défaite et se retira au loin. Il arriva au bord d’une grande mer, et aperçut dans un golfe une masse d’écume que le vent avait accumulée, et qui s’élevait à plusieurs milliers de pieds. Le roi des singes, qui avait l’esprit borné, s’imagina que c’était une montagne neigeuse (Himavat). Il dit à ses compagnons : « J’ai appris depuis longtemps qu’au milieu de la mer, il y avait une montagne neigeuse qui offrait un séjour délicieux, et où l’on pouvait manger à cœur-joie les fruits les plus exquis. La voilà qui apparaît aujourd’hui. Il faut que j’y aille le premier pour m’assurer du fait. Si j’y trouve en effet le bonheur, je n’en pourrai revenir ; si, au contraire, mon espérance est déçue, je ne manquerai pas de venir vous l’apprendre. »

Là-dessus, il grimpe sur un arbre, et, sautant de toutes ses forces, il tombe au beau milieu du monceau d’écume et se noie au fond de la mer. Ses compagnons, étonnés de ne point le voir revenir, s’imaginent qu’il est sûrement retenu par l’attrait du bonheur. Ils s’élancent l’un après l’autre au milieu de l’écume ; toute la troupe se noie et y trouve la mort.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Wou-ming-lo-thsa-king, c’est-à-dire du livre du Rakchas dépourvu de lumières.)