Les Avadânas, contes et apologues indiens/42

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 158-161).


XLII

LE MARCHAND ET LE MIRAGE.

(De ceux qui sont sous l’empire d’une illusion.)


Pendant les chaleurs de l’été, il y avait un marchand qui, ayant perdu de vue ses compagnons, marchait seul derrière eux. Comme il n’avait ni parasol, ni souliers, la sueur découlait de son visage, ses lèvres et sa bouche étaient desséchées, et tout son corps était brûlé par l’ardeur du soleil. Il ouvrait la bouche, allongeait la langue, et était dévoré par la soif. Il regardait de tous côtés, et son esprit troublé était le jouet de vaines illusions. Ayant aperçu dans le lointain des vapeurs épaisses[1], il les prit pour une rivière qu’il croyait peu éloignée. Il courut de toutes ses forces et arriva au milieu des vapeurs. Exténué de fatigue et encore plus tourmenté par la soif, il tomba dans un profond abattement. Lorsque le jour fut sur son déclin, il chercha de la fraîcheur, mais il ne vit plus de vapeurs, et n’aperçut plus cette rivière bienfaisante qu’il avait rêvée. Lorsque son illusion se fut dissipée, il reconnut que ces vapeurs condensées ne provenaient que de l’excès des chaleurs de l’été.

Les personnes qui cultivent la vertu doivent réfléchir en elles-mêmes et dire : « Dans le principe, nous sommes dévorés, par la soif des affections et des désirs, et nous les poursuivons sans relâche. Du commencement à la fin, nous nous laissons brûler par l’amour, et notre esprit égaré ne forme plus que des pensées pleines de doutes et d’erreurs. Enveloppés dans les filets de la folie, nous sommes séduits par un vain mirage qui nous captive et nous entraîne. Tant que cette illusion règne en nous, la convoitise reste attachée au fond de notre cœur.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Sieou-khing-tao-ti-king.)
  1. Suivant le dictionnaire Yun-fou-kiun-yu (livre XI, fol. 39), l’expression chinoise ye-ma (nuage de poussière) répond, dans les livres bouddhiques, à Yang-yen, que le dictionnaire Mahàvyoutpatti donne pour synonyme du mot sanscrit Mrigatrichâ, vapeur qui flotte au-dessus des sables, et qui de loin a l’apparence de l’eau (Wilson).