Les Avadânas, contes et apologues indiens/27

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 115-117).


XXVII

LE ROI ET l’ÉLÉPHANT.

(Fuyez le feu des passions.)


Il y avait un roi nommé Raçmi. Un jour, il monta sur un éléphant doux et bien dressé, et se mit en route pour faire un voyage d’agrément. Précédé et suivi d’un cortège de bayadères qui dansaient et faisaient retentir l’air de leurs chants, il se dirigeait vers une montagne par des sentiers âpres et difficiles. L’éléphant que montait le roi, ayant aperçu de loin un éléphant femelle, se sentit brûler par les feux de l’amour, poussa de sourds mugissements, et s’enfuit furieux avec la rapidité des nuages qu’emporte le vent ; dans sa course impétueuse, il n’évitait plus les chemins rudes et scabreux. En ce moment, le cornac eut beau le frapper avec son croc, il ne put l’arrêter. Le roi Raçmi fut saisi d’épouvante. « Sire, lui dit le cornac, saisissez une branche d’arbre ; il n’y a pas d’autre moyen de salut. » Le roi suivit ce conseil et s’accrocha à une branche d’arbre. L’éléphant continua sa course et se mit à la poursuite de l’éléphant femelle. Le roi éprouva une vive colère et parla ainsi au cornac : « Vous m’aviez dit d’avance que cet éléphant était doux et bien dressé, et que je pouvais le monter. Pourquoi m’avez-vous trompé en me donnant cet éléphant furieux ? »

Le cornac joignit les mains et dit au roi : « Cet éléphant furieux n’a pas été dressé par moi.

— À qui la faute, reprit le roi, si ce n’est pas vous qui l’avez dressé ?

— Sire, répondit-il, lorsqu’un éléphant est emporté par un violent amour qui aveugle son cœur, je ne saurais le dompter. Sachez bien, grand roi, que cette passion ardente est une maladie que ni le bâton ni les coups de croc ne pourraient guérir. De même lorsqu’un homme laisse dominer son cœur par la violence de l’amour, il devient indomptable comme cet éléphant. »

(Extrait de Ta-tchoang-yen-king-lun, en sanscrit : Soutrâlangkara çâstra, livre IX.)