Les Avadânas, contes et apologues indiens/24

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 105-107).


XXIV

LE COTONNIER ET LE FIGUIER DE L’INDE (NYAGRÔDHA).

(Rien de plus précieux que la vie.)


Dans un champ inculte, il y avait un arbre appelé Che-mo-li (Çâlmali — Cotonnier). Comme ses branches étaient larges et fortes, une multitude d’oiseaux venait la nuit y chercher asile. Une colombe, étant venue après les autres, s’arrêta sur une branche, qui se rompit sur-le-champ.

L’esprit d’un lac voisin interrogea l’esprit de l’arbre et lui dit : « Vous pouvez bien porter de grands oiseaux tels que les aigles et les vautours, comment se fait-il que le poids d’un petit oiseau soit au-dessus de vos forces ?

— Cet oiseau, répondit l’esprit de l’arbre, vient de quitter l’arbre Nyagrôdha (figuier de l’Inde), qui est mon mortel ennemi[1]. Après avoir mangé les fruits de cet arbre, il vient se percher sur moi. Il ne manquera pas d’en laisser tomber des graines à terre avec sa fiente. L’arbre que j’abhorre repoussera à mes côtés et me causera un mal immense. Voilà pourquoi je me suis volontairement rompu sous le poids de cet oiseau. Ému de douleur et de crainte, j’ai mieux aimé sacrifier une seule branche que de compromettre l’arbre tout entier. »

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Ta-tchi-tou-lun, livre XXVII.)
  1. On a dit de cet arbre : Quot rami, tot arbores. Sa végétation est si vigoureuse et si rapide qu’il étouffe bientôt tous les faibles arbustes qui l’entourent. C’est ce fait qui explique ici l’inimitié du Cotonnier.