Charles Delagrave (p. 194-199).
XXXII. — Les insectivores

XXXII

LES INSECTIVORES

Paul. — Reprenons maintenant l’énumération des principaux becs-fins, consommateurs exclusifs d’insectes, et par conséquent auxiliaires de premier mérite. Ce sont tous des oiseaux de petite taille, de forme délicate et gracieuse, de costume modeste. Là se trouvent les chanteurs de talent, les artistes en roulades qui font retentir la fouillée des fraîches cantates du printemps.

C’est d’abord le rossignol, tout de brun habillé, sauf le dessous, qui est d’un blanc indécis. Écoutez-le par une calme soirée du mois de mai : tout fait silence pour ne rien perdre de l’hymne de l’oiseau. Il débute par quelques phrases timidement cadencées :

Tiouou, tiouou, tiouou, tiouou,
Schpe, tiou, tokoua.

Il s’anime :

Tio, tio, tio, tio, tio.
Kououtiou, kououtiou, kououtiou, kououtiou,

Tskouo, tskouo, tskouo, tskouo,
Tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii.

La phrase s’accentue, la mélodie s’accélère :

Dlo, dlo, dlo, dlo, dlo, dlo ;
Kouiou, trrrrrrritz !
Lu lu lu, ly ly ly ly, lî lî lî lî.

L’enthousiasme éclate, l’oiseau se livre aux plus brillantes roulades ; mais notre rauque alphabet est impuissant à suivre la flexibilité de ce merveilleux gosier.

Rossignol.
Rossignol.

Le rossignol, dit Buffon, commence par un prélude timide, par des tons faibles, presque indécis, comme s’il voulait essayer son instrument et intéresser ceux qui l’écoutent ; mais ensuite, prenant de l’assurance, il s’anime par degrés et déploie toutes les ressources de son incomparable organe. Coups de gosier éclatants, batteries vives et légères, fusées de chant, où la netteté est égale à la volubilité ; murmure intérieur et sourd qui n’est point appréciable à l’oreille, mais propre à augmenter l’éclat des sons appréciables ; roulades précipitées, brillantes et rapides, articulées avec force et même avec une dureté de bon goût ; accents plaintifs cadencés avec mollesse ; sons filés sans art, mais enflés avec âme ; sons enchanteurs et pénétrants, qui semblent sortir du cœur et exprimer une langueur touchante : tels sont les tons passionnés par lesquels, dans un langage sans doute plein de sentiment, ce chantre de la nature semble chercher à charmer sa compagne ou bien à disputer, devant elle, le prix du chant à des rivaux jaloux.

J’ai vu des barbares interrompre d’un coup de feu l’adorable romance du rossignol. Ils disent que six rossignols font une excellente brochette. Horreur ! À quel point doncFauvette à tête noire.
Fauvette à tête noire.
l’homme est-il brute lorsqu’il ne prend conseil que de son ventre !

Le rossignol place son nid dans un buisson, à une faible élévation, parfois même entre des racines. Il le compose d’herbes grossières et de feuilles de chêne au dehors, de bourre et de crins au dedans. La ponte est de cinq œufs d’un vert sombre.

Avec le rossignol, mais en seconde ligne par le chant, se classent les fauvettes, dont on compte en Europe une trentaine et plus d’espèces. Toutes se nourrissent de mouches, de chenilles, de petits coléoptères, d’araignées, de larves variées. Leurs nids sont travaillés avec beaucoup d’art. Quelques-unes nichent sur les arbres et dans les haies de nos jardins ; d’autres préfèrent les halliers, les bosquets solitaires ; d’autres choisissent des trous d’arbre et de muraille ; d’autres bâtissent sur pilotis au-dessus des eaux d’un marécage, c’est-à-dire rapprochent trois ou quatre menus roseaux par des ligatures et construisent leur nid sur cet oscillant appui ; d’autres enfin se contentent d’une petite excavation à terre. Citons parmi les plus répandues la fauvette à tête noire, ainsi nommée à cause de la calotte noire qui lui couvre le haut du crâne et la nuque. Vous vous rappelez que c’est un des martyrs du coucou, comme en fait foi le nid trouvé ces jours derniers dansRouge-gorge.
Rouge-gorge.
le fond du jardin. Citons encore la fauvette babillarde, amie des taillis, des vergers et des jardins ; la fauvette effarvate, qui, sur le bord des rivières, dans la fouillée des saules, répète d’une voix rauque, et douze à quinze fois de suite : tran, tran, tran, tran ; la petite fauvette rousse, qui visite nos arbres fruitiers en disant : zip zap, zip zap, zip zap ; la fauvette des marais, qui construit son nid parmi les roseaux des marécages  ; la fauvette des Alpes, ou accenteur, hôte des chalets et chantre harmonieux des hautes cimes neigeuses.

Notons maintenant le motteux ou cul-blanc, qui vole de motte en motte au milieu des guérets, d’où son nom de motteux, et dans sa fuite étale son croupion blanc, point de mire du chasseur, d’où son deuxième nom. Il est cendré sur le dos, blanc-roussâtre dessous, noir aux ailes et sur les sourcils. Il fréquente les champs qu’on laboure pour happer les vermisseaux mis à découvert par la charrue. Son nid est placé sous une motte de gazon, parmi les tas de pierres, ou bien dans les trous de petits murs secs. Il se compose de mousse, de gramens et de plumes. Ses œufs, au nombre de quatre ou cinq, sont d’un bleu pâle. Les terres de prédilection des motteux sont les plateaux arides et rocailleux ; c’est là qu’on les voit par nombreuses bandes, en automne, voler d’une roche à l’autre, d’une motte à l’autre, en rasant le sol.

À côté des motteux mettons le traquet, petit oiseau vif et remuant, qu’on voit toujours perché sur le plus haut rameau d’un buisson, d’une ronce, d’où il répète en frétillant : ouistratra, ouistratra. Si de cet observatoire il découvre un insecte sur le sol, il s’élance, le saisit et remonte aussitôt à son perchoir par un petit élan en ligne courbe, à la manière des pies-grièches. Son plumage est brun, avec la poitrine rousse et la gorge noire. Les côtés du cou, l’aile et le croupion sont ornés de blanc. Les traquets fréquentent les baies qui bordent les champs ensemencés et les pâturages secs ; on ne les voit jamais, pas plus que les motteux, dans les terres humides des bords des rivières. Pour construire leurs nids et déposer leurs cinq ou six œufs d’un bleu verdâtre, ils choisissent les racines des buissons, les crevasses des rochers, les tas de pierres.

Je me ferais un crime d’oublier ici le rouge-gorge, à mon sens le plus gracieux de nos petits oiseaux par sa mine éveillée, son regard doux, sa curiosité familière qui le fait venir ramasser les miettes du berger trempant son pain dans l’eau claire d’une fontaine. C’est le plus matinal des chanteurs. Dès l’aube, il fait entendre le cliquetis de ses notes précipitées, ou se livre à de légères modulations qui rappellent quelques passages du chant du rossignol. Qui ne connaît son cri d’alerte lancé des profondeurs d’un buisson touffu : trît, tirititit, tirit, tirititit, et son cri d’appel au passage de quelqu’un des siens : uip, uip !

Le rouge-gorge a le dessus d’un brun olivâtre, la gorge et la poitrine d’un roux ardent, le ventre blanc. Il niche dans les fourrés les plus épais des bois, parmi les racines moussues des arbres. Son nid, composé de feuilles, de crin, de bourre et de plumes, contient de cinq à sept œufs blanchâtres, tachetés de roux.

En hiver, le rouge-gorge abandonne sa forêt natale, se rapproche des fermes et vient chercher sa nourriture jusque dans les habitations. Dieu vous garde, mes petits amis, de tromper jamais sa confiance lorsque, par une âpre journée de neige, il vient discrètement frapper du bec aux vitres et demander l’hospitalité. Accueillez le pauvre petit affamé ; il vous le rendra au centuple par son doux gazouillement et son ardeur à protéger les biens de la terre.

Mais en voilà suffisamment sur les becs-fins. Au point où nous en sommes arrivés, vous devez très bien comprendre de quel immense intérêt sont pour l’agriculture ces légions de mangeurs d’insectes, qui se partagent le travail dans les champs, les haies, les prairies, les jardins, les bois, les vergers, et font une guerre continuelle à toute espèce de vermine, terrible engeance qui détruirait les récoltes si d’autres que nous n’y veillaient assidûment, d’autres plus habiles, mieux doués en finesse de vue et patience de recherche, et n’ayant pas autre chose à faire. Je n’exagère pas, mes petits amis ; sans les oiseaux insectivores, la famine nous décimerait. Qui donc alors oserait, à moins d’être un idiot destructeur, toucher aux nids de ces oiseaux du bon Dieu, qui égayent la campagne de leur ramage et nous défendent contre le dévorant fléau de l’insecte ? Il y a, je le sais, il y a de féroces gamins qui, s’ils peuvent manquer l’école, ennuyés du livre et de la leçon, se font un passe-temps de grimper aux arbres, de visiter les haies pour dénicher les oisillons, qui misérablement périssent, et les œufs, piteusement écrasés. Ces maudits, le garde champêtre les surveille, et la loi les frappe de toutes ses rigueurs, afin que, défendu par l’oiseau, le champ continue à produire ses gerbes et le verger ses fruits.