Charles Delagrave (p. 187-194).

XXXI

LE BEC

Paul. — Parmi les petits oiseaux, une foule d’autres se trouvent qui se nourrissent à peu près exclusivement d’insectesGros-bec. — Le verdier.
Gros-bec. — Le verdier.
et par là rendent de signalés services à l’agriculture. Vous parler de tous en détail serait un peu trop long ; d’ailleurs la plupart vous sont familiers : vous les avez journellement sous les yeux dans les bosquets, les jardins, les vergers, les champs. Je me bornerai au caractère essentiel qui distingue les oiseaux mangeurs d’insectes des oiseaux mangeurs de graines. Quelques traits de mœurs sur les plus importantes espèces compléteront ma rapide revue.

L’alimentation des petits oiseaux se classe en deux genres de nourriture : la graine et l’insecte. À certains il faut du millet, du chènevis, des pépins, des semences de toute sorte ; à d’autres il faut des vermisseaux, des larves, des insectes.Bec-fin. — La fauvette des roseaux.
Bec-fin. — La fauvette des roseaux.
Le choix de l’un ou de l’autre genre de nourriture est déterminé par la configuration du bec, de même que le régime d’un mammifère est sous la dépendance de la structure des dents. Les molaires triturantes du cheval et du bœuf exigent du fourrage à broyer sous leurs plates et larges couronnes ; celles du loup et du chat, avec leurs arêtes tranchantes, veulent de la chair à découper par lambeaux. Pareillement, le bec de l’oiseau, suivant qu’il est fait de telle ou de telle autre manière, qu’il est gros ou menu, robuste ou faible, exige la graine dure, qui craque sous la mandibule et s’ouvre en cédant son amande, ou bien le vermisseau tendre, qui s’avale sans avoir besoin d’être écrasé. Montre-moi ton râtelier, disions-nous d’un mammifère, et je saurai ce que tu manges. Montre-moi ton bec, dirons-nous maintenant de 1 oiseau, et je saurai si tu vis d’insectes ou de graines. L’oiseau qui vitBergeronnette grise ou lavandière.
Bergeronnette grise ou lavandière.
de graines, ou le granivore, a le bec fort, conique, large à la base, d’autant plus robuste qu’il est fait pour ouvrir des semences plus dures ; l’oiseau qui vit d’insectes, ou insectivore, a le bec fluet, mince, délicat, d’autant plus faible qu’il saisit vermine plus molle. Le langage vulgaire fait cette distinction en désignant les petits oiseaux granivores par le terme général de gros-bec, et les insectivores par celui de bec-fin. Emparons-nous de ces deux mots expressifs et formulons ainsi la règle : au gros-bec la semence, au bec-fin le vermisseau.

Et maintenant, sans plus tarder, mettons la règle en pratique. Voici un oiseau dont vous ne connaissez peut-être pasMerle et son nid.
Merle et son nid.
le genre de nourriture. Si je vous demande ce qu’il mange d’après la forme du bec, serez-vous embarrassés ?

Jules. — Ce bec si robuste, si large à sa base, croque certainement les plus dures semences.

Émile. — Cet oiseau-là vit certainement de graines ; il le porte écrit sur sa grosse figure.

Paul. — C’est, en effet, un consommateur de toutes sortes de semences ; c’est le verdier de nos taillis, verdâtre dessus, avec les bords de la queue jaunes. La couleur dominante de son costume, le vert mêlé de jaune, lui a valu le nom de verdier. Et celui-ci ?

Émile. — Au gros-bec la semence, au bec-fin le vermisseau. Le bec est sans force, un peu long, mais fluet ; l’oiseau est un mangeur d’insectes.

Paul. — Et des plus zélés, car il appartient à la famille des fauvettes, ces délicieux chanteurs, qui craindraient de s’enrouer en mangeant la graine aride et farineuse. Pour s’entretenir l’harmonieuse flexibilité du gosier, il faut à ces incomparablesÉtourneau.
Étourneau.
artistes la fine graisse des chenilles et la tendre bouchée de larves ; ils se garderaient bien de toucher à de grossières semences qui leur gâteraient la voix.

C’est la fauvette des roseaux, qui vit de libellules, de petits hannetons, de cousins, de taons happés au vol. Elle niche dans les saussaies, parmi les roseaux. Elle est d’un brun roussâtre en dessus, d’un blanc jaunâtre en dessous.

Pour terminer, voyons ce troisième.

Émile. — Encore un bec-fin, encore un mangeur d’insectes.

Paul. — Ce n’est pas plus difficile que cela. L'oiseau porte trois noms : lavandière, hochequeue, bergeronnette. Lavandière, parce qu’il fréquente le bord des eaux, en compagnie des laveuses ; hochequeue, parce qu’il hoche sa longue queue à chaque pas qu’il fait ; bergeronnette, parce qu’il aime la société des bergers et des troupeaux. Il est cendré dessus, blanc dessous, noir derrière la tête, à la gorge et à la poitrine.

Loriot et son nid.
Loriot et son nid.

Les lavandières courent gaiement sur les sables des bords de l’eau, à la recherche de la vermine. À tout instant elles s’élancent à quelques pieds du sol, se balancent, pirouettent et retombent sur quelque petite élévation. On les voit aussi trottiner dans les prairies, parmi les moutons, sur le dos desquels elles se posent, même en présence du berger, pour saisir sous la laine les insectes parasites. Elles vivent de petites limaces, de papillons, de mouches, de larves.

La bergeronnette du printemps a le dos d’un vert olivâtre, la tête d’un cendré bleu, la poitrine et le ventre jaunes, les sourcils blancs. Elle fréquente en bandes nombreuses les terrains élevés, les champs labourés, qui lui offrent en abondance sa nourriture habituelle, petits vers, chenilles et moucherons. En été, elle se tient dans les lieux humides, dans les prés, souvent à la suite des troupeaux.

Entre les oiseaux qui vivent exclusivement soit de graines, soit d’insectes, doivent se classer, sous le rapport de l’alimentation, ceux qui s’adonnent à un régime mixte etAlouette des prés.
Alouette des prés.
mangent indifféremment, suivant les saisons, les lieux, les circonstances, insectes et graines, larves et baies. Leur bec n’a pas la forme robustement conique des granivores purs, ni la forme délicatement amincie des insectivores ; il est intermédiaire entre ces deux extrêmes. Ce bec bon à tout est l’apanage des alouettes, joie de nos sillons ; des grives et des merles, amateurs des baies de la vigne et du genévrier, mais non moins friands d’insectes ; du loriot, superbe oiseau noir et jaune, qui adore les cerises relevées par quelques larves de haut goût ; de l’étourneau, qui se compose un menu de figues, de raisins, d’insectes, de limaçons et de diverses graines.

L’étourneau est un magnifique oiseau, presque de la taille du merle, tout reluisant de reflets métalliques sur son costume sombre. Il est d’un noir lustré, changeant en vert brillant sur la tête et les ailes, en violet sur la poitrine et le dos. L’extrémité de la plupart des plumes est ornée d’une tache d’un blanc roussâtre. Il niche sous les couvertures des édifices, dans les colombiers et les creux des arbres. Le nid, composé de paille à l’extérieur, d’herbes sèches et de plumes à l’intérieur, contient quatre œufs blanchâtres sans aucune tache. Les étourneaux nous arrivent en automne. Ils volent par nombreuses bandes qui tourbillonnent à la manière du grain vanné dans un crible, et jettent du haut des airs des cris perçants. Ils s’abattent dans les marécages et dans les prairies humides, où ils détruisent beaucoup de vermine.