Librairie Hachette (p. 189-195).
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e groupe qui conversait avec nous, puisque désormais, comme je le disais plus haut, nos entretiens devenaient de véritables causeries, n’était pas absolument stable. Il avait au début compris neuf individus : il en comptait maintenant davantage, tantôt douze, quinze, même vingt.

Cependant, cinq des Éthéraux de la première heure étaient toujours présents. Nous leur avions donné des noms d’astres : Antarès, Aldébaran, Arcturus, Véga, Sirius.

Encore que les teintes des centres, des raies et des hélices fussent variables, cependant chez Antarès, Aldébaran et Arcturus, le rouge et l’orange apparaissaient plus distinctement que chez Véga et Sirius qui, pour cette raison, nous semblaient surtout bleus ou violets. Pour légère que fût la différence elle était sensible et nous apprîmes qu’elle n’était point sans signification : la polarité des trois premiers s’opposait à la polarité des deux autres, sans que cette opposition eût l’importance qu’elle décèle entre les éléments électriques, positifs et négatifs.

Tous les cinq s’intéressaient vivement à nos existences, surtout Aldébaran et Véga. Chose qui nous étonna profondément d’abord, leurs voix, ces voix qui n’existaient point, décelaient quelque différence. Nous ne tardâmes pas à concevoir que cela résultait des éléments rythmiques de chacun des cinq Éthéraux, états qui déterminaient des « harmoniques » individuels.

C’est Aldébaran qui nous répondit d’abord, le jour où nous posâmes la question d’Espace et de Temps. Antoine commença par définir la persistance et le changement. Il fallut ajouter quelques termes au vocabulaire commun.

Les Éthéraux écoutèrent, interrogèrent et suggérèrent, puis Aldébaran conclut :

« Des changements que vous percevez directement sont d’une lenteur extrême par rapport à ceux que nous percevons directement nous-mêmes. Cependant vous concevez, sans les percevoir, des changements beaucoup plus rapides. Vos changements lents sont une illusion ; les obstacles que nous rencontrons et qui vous paraissent immobiles, nous apparaissent d’emblée des ensembles rayonnants dont toutes les parties se détruisent et se reconstruisent sans cesse. Ce sont des ensembles sans individualité : sachez d’ailleurs que tout est vie.

« Quant à vous, vous êtes des ensembles plus grouillants encore, mais organisés. Nous ne comprenons pas ce que vous appelez le Temps et l’Espace, mais nous concevons la co-existence, le changement et le nombre : ainsi nous sommes en ce moment huit qui vous écoutons et qui, ne se confondant pas, co-existent. Nous communiquons beaucoup plus directement que vous les uns avec les autres. »

Des conversations suivantes, il résultait qu’ils n’avaient pas une mémoire d’espèce aussi persistante que celle des hommes. Pas d’archives d’un long passé, pas d’outillage, pas d’armes, rien d’analogue à ces livres conservant la pensée, la science, ou des plaques conservant les sons, les images, mais en eux, des éléments nombreux et divers leur permettant de créer des moyens de communiquer avec nous, de comprendre, par exemple, à leur manière, un poste de radio et, comme ils l’avaient si bien prouvé, de s’entendre avec nous de façon si intime qu’ils arrivent à émettre des radiations qui se transformeront finalement en Voix.

Ils comprirent mais abstraitement que nous mourions périodiquement et que nous nous reproduisions. Au bout d’un temps dont ils ne savent pas faire le compte, puisqu’ils ne conçoivent pas le Temps abstrait, l’intensité de leur vie diminue ; alors, un groupe d’Éthéraux les renouvelle et ce renouvellement implique des changements de structure souvent considérables. Renouvelé, l’individu ne garde de sa vie antérieure qu’une mémoire confuse bientôt anéantie.

« C’est comme s’ils mouraient sans mourir et renaissaient sans renaître », observa Violaine.

Nous ne parvînmes pas à déterminer nettement comment ils se comprenaient, de quoi était fait ce qui devait correspondre à notre langage.

C’étaient nécessairement des combinaisons rayonnantes, d’une complication extrême, et qui exigeaient, comme chez nous d’ailleurs, une intervention constante de l’intuition. Imaginons, pour fixer les idées, car cela ne correspond à aucune réalité certaine, que tout ce que nous exprimons par la parole doive être complété par l’auditeur.

On dira avec raison qu’il se passe quelque chose de semblable dans la transmission de nos pensées et de nos sentiments, d’où tant d’erreurs d’interprétation, une compréhension toujours imparfaite et souvent fausse des sentiments comme des idées.

Mais les lacunes ou les fausses interprétations sont, chez nous, le signe de notre insuffisante discrimination, plus encore que de l’insuffisance du langage. Chez les Éthéraux, le langage évoque chez celui à qui l’on parle ce qui se passerait réellement chez l’autre, non par une répétition intégrale, mais par un développement auquel je ne comprends goutte. Autrement dit, le langage, tout en ayant une signification assez large par lui-même, sert à établir des états d’âme, à faire concorder les organismes, à créer une sorte d’identité mentale entre deux ou plusieurs individus. Si nous supposons une conversation entre Aldébaran et Antarès, elle comportera une série de phrases déclenchées par le langage, qui aboutirait à reproduire chez l’un des interlocuteurs, à de faibles nuances près, ce qui se passe chez l’autre. Un même Éthéral peut s’adresser à plusieurs de ses semblables mais non percevoir distinctement plusieurs réponses simultanées.

Il est important de remarquer que chaque individu reste maître de ses pensées. Il ne crée, tant par les demandes que par les réponses, l’état de pseudo-identité chez autrui que dans les limites où il le veut.

Essayons de traduire cela en supposant que les hommes soient doués de quelque faculté analogue à celle que j’ai tenté de définir. Dans une causerie avec un autre homme, chaque fois que je prendrai la parole, je déterminerai un état mental approximativement semblable à celui qui me fait parler, abstraction faite de ce que, d’instinct ou volontairement, je ne veux pas dire. Mon interlocuteur me comprendra sans erreur ni lacune. Son état émotif aussi sera analogue au mien. Il faut nécessairement que nos systèmes nerveux vibrent de façon à peu près identique dans le moment où nous communiquons[1].

Les Éthéraux n’ont pas de sciences expérimentales non plus que de mathématiques au sens où nous l’entendons. Les mathématiques ne leur seraient d’aucun secours. Ils réalisent concrètement dans la perfection les plus subtiles théorèmes ou problèmes. Et leur science tant personnelle que sociale est fonction immédiate de leur vie. Elle comporte des séries de réalisations dans tous les domaines de leur activité, qui dépassent de loin les nôtres.

Leurs structures mêmes comportent des connaisances innées ou acquises en un éclair, qui ne nous ont été révélées que par des suggestions éblouissantes quoique intraduisibles.

Fait essentiel : leur science ne comporte que des rayonnements. C’est sous cette forme rayonnante qu’ils perçoivent ce que nous appelons les gaz, les liquides, les solides en un mot : la matière.

Notre physique, notre chimie n’ont donc aucun sens pour eux. Ils ne perçoivent le monde dit matériel que par son état radiant, lequel à la vérité est capital dans l’Existence Universelle comme dans la nôtre. Les corpuscules qui forment la matière n’étant que des liens de radiance, s’écoulent et se renouvellent à la façon d’un fleuve. Toute constance n’est en somme que la dispersion et la reformation dans un même ordre, avec la même densité dans les ensembles rayonnants qui constituent le corps.

De ce que les Éthéraux ne perçoivent les corps que sous forme radiante, il ne s’ensuit pas qu’ils en aient une connaissance moins étendue que la nôtre, mais cette connaissance est autre. Elle leur livre directement le secret des influences de la physique et des combinaisons dites chimiques. Elle leur fait percevoir les changements internes des nuées radiantes que sont pour eux les corps. Mais cette connaissance de l’infinitésimal leur voile en grande partie les effets de masse ; ainsi, ils ne se faisaient aucune idée nette de la vie organique de Mars, ni de toute vie organisée en dehors de la leur. Nous fûmes pour eux, à cet égard, une révélation essentielle.

Il faut remarquer ici que si les Éthéraux contournent les corps lorsqu’ils en rencontrent, ce n’est pas qu’ils ne puissent les traverser, mais en les traversant, ils subissent des influences pénibles que naturellement ils évitent. Ces influences seraient plus intenses, donc plus pénibles, s’ils s’avisaient de pénétrer à l’intérieur de la Planète.


  1. Chez les Éthéraux, cette concordance est plus étendue. Entre individus de même espèce, elle intéresse, ce semble, la totalité des organismes.