Albert Méricant (p. 273-Ill.).

XXVIII

Fiamette pardonne

Fiamette, qui depuis deux mois, soignait la Comète, venait de recevoir une lettre dont la suscription, d’une grosse écriture enfantine, lui était inconnue.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Nora, en tournant vers son amie un visage de cire que n’éclairait qu’un étrange regard investigateur et tendre, le regard des moribonds qui interroge sans cesse, cherche dans le regard d’autrui l’espoir d’une guérison ou la certitude d’une fin prochaine.

— Une lettre qui ne me dit rien de bon.

— As-tu peur de l’ouvrir ?

— J’ai peur de tout, à présent. Quelque billet anonyme, sans doute ?

En tremblant, elle déchira l’enveloppe, et un cri d’angoisse expira sur ses lèvres.

— Quoi donc ?… demanda Nora. Une mauvaise nouvelle ?

— Oui. André a été blessé, la nuit dernière.

— Blessé !… Un duel ?…

— Je ne sais, vois.

Elle passa le billet à la Comète qui fit un effort pour se soulever sur les coussins.

— C’est signé : Zélie… Tu connais ?… — Non.

— La lettre est touchante, quoique sans orthographe, murmura la malade, et elle relut lentement ;

« Votre ami a reçu, cette nuit, un coup de couteau qui ne lui était pas destiné. Il a perdu connaissance, et on l’a transporté à l’hôpital, car il n’avait personne pour le soigner chez lui.

« Je sais qu’il vous aime toujours ; je vous préviens donc pour que vous alliez le guérir. Moi aussi, je l’aime, mais je ne suis qu’une amie et je désire seulement qu’il soit heureux par vous.

« Zélie. »

Suivait l’adresse de l’hôpital.

— Zélie !… soupira Fiamette…

— C’est un brave petit cœur, fit Nora, il faut aller retrouver André.

Déjà Fiamette était prête à partir. En hâte elle embrassa la Comète, qui souriait avec mélancolie.

— J’y vais.

— Tu reviendras, au moins ?…

— Certes.

— Tu sais… ce ne sera pas pour longtemps ;… ne m’abandonne pas !

Mais la jeune femme n’écoutait plus. C’est en courant qu’elle traversa l’antichambre et descendit les marches du petit hôtel. La porte de la cour était ouverte, un fiacre passait. Fiamette donna rapidement l’adresse au cocher, et se jeta sur les coussins où elle demeura anéantie, les yeux fixes, suivant sa chimère douloureuse. Elle ne sut jamais le chemin qu’elle avait pris et, lorsque la voiture s’arrêta, elle descendit machinalement devant une haute bâtisse à murs de prison qui, dès le seuil, exprimait la désespérance et la fin des choses.

Le concierge, bourru, lui indiqua une salle carrée, rigide, inhospitalière, avec des chaises et des bancs groupés dans le fond devant un guichet vitré. Des malheureux attendaient, déjà, tenant des oranges dans des papiers de soie, des pots de confiture, des bouteilles de vin fin, des friandises pour les condamnés qu’ils venaient voir.

Fiamette se mit à la queue, puis, en passant devant le guichet, demanda les renseignements nécessaires. Un autre employé lui indiqua, sans bienveillance, la salle où reposait André, et, après quelques détours dans les corridors, empuantis de phénol et de chloroforme, elle trouva ce qu’elle cherchait. Le lit 18 qu’occupait son ami était le dernier à gauche d’une vaste pièce, claire et froide. André, la chemise ouverte, semblait dormir. Il était très pâle, ayant perdu beaucoup de sang. Des linges fraîchement appliqués lui couvraient la poitrine.

Fiamette se pencha, lui prit doucement la main, et, comme il ne bougeait pas, murmura son nom.

— Je suis venue pour te soigner ; car tu m’as pardonné, n’est-ce pas ?… Tu as oublié ?… Tu sais bien que je ne suis pas coupable, que je n’ai jamais aimé que toi ?…

Le blessé ne l’entendait point.

Elle reprit d’une voix tremblante, pensant qu’il persistait dans son injuste rancune :

— Réponds-moi, dis-moi que tu ne m’en veux pas ! Je n’ai cherché que ton bien, et si j’ai agi imprudemment, il faut m’absoudre, car je n’avais pas de pensée mauvaise… Mon cœur, alors comme aujourd’hui, était tout plein de toi… Oui, cet argent que tu me reproches ?… Eh bien, pour l’avoir, j’ai vendu mon collier, tu sais, mon beau collier qui faisait si bien à la fête de Pascal ?… J’ai aussi cédé ma zibeline, qui était trop luxueuse sur mes vêtements de laine… Je n’avais pas autre chose… Que pouvais-je faire ?… Mais, tu aurais refusé ce sacrifice, alors j’ai menti, j’ai raconté que Pascal avait trouvé à placer tes articles et que les journaux s’étaient montrés généreux… Oui, tu as été atteint dans ton juste orgueil ; j’aurais dû trouver un autre prétexte… Je me suis maladroitement servie de ce qui te tenait le plus au cœur, ne pensant pas au réveil cruel, à la double désillusion qui t’attendait, puisque, un jour ou l’autre, tu aurais su, quand même… De cette faute, seule, je suis coupable… aie pitié, mon André, c’était encore par amour pour toi…

Le blessé ouvrit des yeux vagues, regarda son amie d’un pâle regard qui ne voyait pas.

Un interne qui passait secoua la tête, posa un doigt sur son front.

— Il ne vous reconnaît pas, madame, la secousse a été trop forte.

— Ah ! soupira Fiamette… Vous le sauverez, pourtant ?

— Sans doute, s’il ne survient pas de complications…

— Cette blessure ?…

— Oh ! elle n’est pas très grave… le couteau du meurtrier a glissé sur une côte ; un autre, à la place de ce jeune homme, serait déjà hors danger.

— Que craignez-vous donc ?…

— Mon Dieu, madame, le sujet est très affaibli par les veilles, les excès… le travail cérébral, peut-être ; c’est un neurasthénique, un éthéromane… Lorsqu’on nous l’a apporté, il avait le délire, et s’il est calme, en ce moment, il faut s’attendre à une récidive… Voyez, sa main est brûlante, des tics nerveux lui tirent la face…

Fiamette pleurait, n’osant dire à cet inconnu ce qui cependant lui brûlait les lèvres… Elle aurait voulu se caresser l’âme à un peu de pitié, puiser, en l’expérience et la sympathie d’autrui, la force de supporter cette épreuve. Mais l’interne détaillait surtout, en elle, la jolie femme et la femme élégante ; ses sentiments de mâle, instinctivement jaloux, devaient être plutôt hostiles au blessé. Elle le comprit, garda le silence, tandis que l’autre, pour s’attarder en cette atmosphère d’amour, se frôler à cette jupe soyeuse, arrangeait l’oreiller sous la tête d’André, assujettissait les linges qui couvraient la plaie, toujours saignante.

— Ah ! il nous faudra du temps, dit-il, la guérison sera très difficile.

Fiamette tamponna ses yeux, se disposa à partir.

— Est-ce qu’on pourra transporter le malade chez moi ?

— D’ici une semaine, sans doute.

— Merci, monsieur.

Elle embrassa son ami, mit dans ses doigts fiévreux un bouquet de violettes qu’elle avait apporté, et s’en alla en étouffant ses sanglots.