Albert Méricant (p. 110-113).

XI

La Danse lumineuse

L’obscurité s’était faite dans la salle ; du haut du balcon trois yeux électriques s’allumèrent fantastiquement. Le rideau de velours s’écarta lentement, et Ninoche surgit des ténèbres comme un fantôme lumineux. De tous les coins de la scène apparurent, en même temps, d’autres Ninoches qui, reflétées à l’infini par un jeu de glaces, donnèrent l’impression d’un ballet de nonnes ressuscitées pour quelque danse macabre. Vivement ou mollement, la mime agitait, sous l’étoffe, les longs bâtonnets, qui, par leurs mouvements vifs et précis, donnaient à la femme mystérieuse l’apparence d’une fleur au calice renversé, d’un parachute, d’un météore, d’un tourbillon d’écume. À tout petits pas, elle se déplaçait, virevoltait, tandis que le tissu léger s’enflait, se déployait en spirales fumeuses, puis retombait comme une neige nonchalante ou une flamme qui s’éteint. C’étaient, aussi, des surprises pyrotechniques : des girandoles d’argent, des roses tournantes, des anneaux de Vulcain, des gloires diamantées, des éventails pyriques, des étoiles de Vénus, des éruptions de fleurs, des miroirs de Diane, des mosaïques rutilantes et des soleils à rosaces d’or !

Des feux montaient comme des chandelles romaines, des lys d’argent éclataient en fusées légères, et, sur les étoffes, ruisselaient des cascades de pierreries… La femme disparaissait ; ce n’était que dans une vision fugitive que souriait sa bouche en cœur de pourpre, que la brûlure de ses yeux perçait le brasier électrique où elle évoluait.

Les spectateurs, cependant, restaient figés, habitués à ce spectacle qui, depuis quelques années, tenait la scène. Quand le rideau retomba en plis lourds, on applaudit du bout des doigts l’adresse de la danseuse et l’harmonie de ses attitudes. Puis, des rires coururent, au souvenir de l’article du matin, de l’ironie terrible de ses épithètes.

Ninoche reparut en scarabée d’émeraude avec des antennes d’or. Elle caressa une corolle imaginaire, s’endormit dans la fleur, puis se mua en papillon de pourpre, en libellule d’acier, en phalène fantastique. Après avoir battu des ailes sur les tentures noires, elle parcourut la scène dans l’ivresse d’une épouvante croissante et disparut dans les frises.

Enfin, dernière métamorphose, elle revint dans une tunique blanche, pieds et poings liés, se livrer au bûcher. Admirablement simulé, l’incendie s’alluma dans une fumée épaisse. Des langues bleuâtres frôlèrent les genoux, les flancs, la poitrine, la face de la martyre. Échevelées, les flammes coururent sur ses épaules, lui firent une auréole de gloire, et, en chimères, en dragons courroucés, se dressèrent jusqu’au ciel. Ninoche, la face douloureuse, se tordait sous les morsures, et ses mouvements fébriles activaient la fureur des monstres.

Des lambeaux de pourpre flottèrent encore, comme un immense manteau royal, semblèrent pleurer des lys de sang. Puis, les dents avides de nouvelles flammes vertes et bleues achevèrent de déchirer le voile auguste. La femme, de tout son corps crispé, repoussait la mort, bondissait sur place, et, la bouche ouverte, comme pour lancer une dernière clameur, elle avait une expression de souffrance tragique, presque surhumaine.

Une gerbe plus haute monta dans une furie éblouissante, plana un moment, enveloppa dans son tourbillon les chairs de volupté, puis l’incendie diminua, vaincu par sa puissance même. Comme une loque déchiquetée le corps de la mime s’affaissa, et les ténèbres se firent.