Plon-Nourrit et Cie (2p. 12-15).


V


La nuit venue, messire Yvain conduisit le beau valet dans une église où il le fit veiller jusqu’à l’aube ; après quoi, il le ramena en son logis pour dormir un peu. Au matin, ceux qui devaient être adoubés le jour de la Saint-Jean reçurent du roi la colée ; puis tout le monde fut entendre la messe et, en revenant, le roi commença de ceindre l’épée aux nouveaux chevaliers.

Mais comme il ne lui restait plus à armer que le blanc damoisel, une pucelle entra dans la salle, la plus belle qui ait jamais été. Ses tresses semblaient de fin or, ses yeux bleus brillaient comme des gemmes et elle était si bien proportionnée qu’on ne voyait rien en elle à reprendre ; que vous dirais-je de plus ? Elle avançait en soulevant légèrement sa robe par devant ; arrivée devant le roi, elle la laissa aller sur l’herbe fraîche et nouvelle dont le palais était jonché ; puis elle salua. Les chevaliers et les dames qui étaient dans la salle s’étaient approchés pour mieux voir une telle beauté, et l’on aurait pu leur couper l’aumônière sans qu’ils s’en aperçussent, tant ils béaient à la considérer ; bref, tous la louaient, petits et grands. Mais elle dit sans s’ébahir, en riant un peu de ce qu’ils la regardaient ainsi :

— Roi Artus, Dieu te sauve ! Je te salue, toi, ta compagnie et tous ceux que tu aimes, de par la dame de Nohant et de par moi-même.

— Belle douce amie, répondit le roi qui était bien disert et savait se jouer en paroles, vous avez grande part en ce salut, puisque tous ceux que j’aime y sont compris.

— Sire, je m’aime donc mieux d’y être avec vous. La dame de Nohant vous demande secours comme à son seigneur lige, car le roi de Northumberland a envahi et gâté sa terre. Tous deux ont convenu que ma dame pourra faire défendre son droit par un chevalier contre un, ou par deux contre deux, ou par trois contre trois, ou par autant qu’elle en pourra avoir. Et elle vous requiert de lui envoyer tel champion qu’il vous plaira.

— Belle amie, répondit le roi, je la secourrai volontiers, car elle tient de moi sa terre. Mais, ne me fût-elle de rien, je ne lui aiderais pas moins, car elle est très vaillante dame, débonnaire et de haute lignée, et pour l’amour de vous.

Le damoisel entendit ces mots : tandis qu’on menait la pucelle au corps gent dans les chambres de la reine, il vint s’agenouiller devant le roi et lui demanda d’être envoyé au secours de la dame de Nohant.

— Sire, ajouta-t-il en le voyant hésiter, vous ne devez pas me refuser le premier don que je requiers de vous après mon adoubement. Je serais peu prisé et, moi-même, je m’estimerais moins, si vous ne vouliez me donner à accomplir ce que peut faire un chevalier.

Là-dessus, messire Gauvain et messire Yvain intervinrent pour représenter au roi qu’il ne pouvait l’éconduire honorablement. Si bien qu’à la fin celui-ci octroya le don, quoiqu’il craignît qu’un tel jouvenceau ne fût pas encore d’âge à porter un si lourd faix de chevalerie.

— Sire, grand merci, dit le damoisel.

Et quand il eut pris congé du roi et des barons, il fut à son logis pour se faire armer.