Plon-Nourrit et Cie (2p. 15-17).


VI


Or, messire Yvain, qui l’avait accompagné, le vit soudain pâlir et lui demanda ce qu’il avait.

— Ha ! sire, je n’ai pas pris congé de madame !

— Vous avez dit que sage.

Tous deux revinrent au palais et montèrent aux chambres de la reine. Là, le damoisel s’agenouilla sans mot dire, les yeux baissés.

— Dame, dit messire Yvain, voici le valet d’hier soir, que le roi a fait chevalier ce matin ; il vient prendre congé de vous.

— Quoi ! s’en va-t-il déjà ?

— Oui, dame. Il va de par monseigneur porter secours à la dame de Nohant. Il l’a demandé en don.

— Mais comment messire le roi le lui a-t-il octroyé ? Il est si jeune !… Levez-vous, beau doux sire. Je ne sais qui vous êtes, peut-être meilleur gentilhomme que l’on ne suppose, et je vous souffre à genoux devant moi ! Je ne suis guère courtoise !

— Ha ! dame, dit le damoisel en soupirant, pardonnez-moi la folie que j’ai faite !

— Et quelle folie ?

— J’ai pensé sortir de céans sans avoir congé de vous.

— Beau doux ami, vous êtes assez jeune homme pour qu’on vous pardonne un si grave méfait !

— Dame, merci.

Et, après avoir hésité un instant, il dit encore :

— Dame, si vous vouliez, je me tiendrais toujours pour votre chevalier.

— Je le veux bien. Adieu, beau doux ami.

Elle le fit lever en lui donnant la main ; certes il fut bien aise quand il sentit cette main toucher la sienne, toute nue. Il salua les dames et les demoiselles qui avaient ouï parler de sa bonne grâce et de son excellente beauté et qui avaient toutes l’œil sur lui, durant qu’il s’entretenait avec la reine, s’émerveillant que Nature l’eût si bien pourvu de ce qu’elles désiraient le plus ; puis il revint à son logis pour se faire armer. Et là, messire Yvain s’aperçut qu’il n’avait pas d’épée.

— Par mon chef, vous n’êtes point chevalier, puisque le roi ne vous a pas ceint l’épée !

— Sire, répondit le damoisel, je n’en voudrais pas d’autre que la mienne, que mes écuyers ont emportée. Je les rattraperai aisément et je reviendrai aussi vite que mon cheval pourra courir.

Là-dessus, il sauta sur son cheval et partit à toute bride ; mais il ne revint pas, car il espérait bien qu’il serait chevalier d’une autre main que celle du roi. Et messire Yvain, après l’avoir vainement attendu, s’en fut conter au palais comment le valet l’avait trompé. Messire Gauvain dit que c’était peut-être un très haut homme et qui s’était dépité parce que le roi ne lui avait pas ceint l’épée avant les autres, ce que la reine et beaucoup de chevaliers crurent possible. Mais le conte retourne maintenant au blanc damoisel qui chemine avec ses gens.