Plon-Nourrit et Cie (2p. 10-12).


IV


Dès le samedi au matin, il vint trouver monseigneur Yvain le grand, qui l’avait hébergé en son logis, et il le pria de requérir le roi Artus de l’armer le lendemain.

— Comment, beau doux ami, lui dit son hôte, ne vous convient-il pas d’attendre encore un peu et d’apprendre le métier des armes ? Il tombe à terre, l’oiselet qui s’élance avant de savoir voler.

Mais le valet répliqua qu’il lui tardait de ne plus etre écuyer, et messire Yvain s’en fut dire son désir au roi.

— Parlez-vous du damoisel à la blanche robe ? répondit celui-ci. Que dites-vous, Gauvain, de notre valet d’hier soir qui veut déjà être chevalier ?

— Je pense que la chevalerie lui siéra bien, car il est beau et semble de bonne race.

— Quel est ce valet ? fit la reine Guenièvre.

— Allez le quérir, Yvain, dit le roi, et faites qu’il s’habille du mieux qu’il pourra ; j’ai idée qu’il a assez de ce qu’il faut pour cela.

Dans la cité, la nouvelle s’était répandue du damoisel qui était venu en équipage de chevalier, de sorte que les rues se trouvèrent pleines de monde, lorsqu’il traversa la ville en croupe sur le cheval de monseigneur Yvain. Au palais même, les chevaliers, les dames et les demoiselles étaient descendus dans la cour pour le voir, et le roi et la reine se penchaient à la fenêtre. Le blanc damoisel mit pied à terre, ainsi que messire Yvain, qui le prit par la main et le mena dans la salle où le roi et la reine firent asseoir entre eux leur parent, tandis que le jouvenceau se plaçait vis-à-vis, sur l’herbe verte dont le sol était jonché. Il était avenant de visage et fait à merveille ; ses bottes étaient si justes qu’on aurait cru qu’il en fût né chaussé, et ses éperons luisaient à s’y mirer. Déjà, la reine Guenièvre le regardait avec douceur et priait Dieu de faire prud’homme celui à qui il avait donné une si belle apparence. Et quant au valet à la blanche robe, toutes les fois qu’il pouvait jeter à la dérobée les yeux sur elle, il s’émerveillait de sa beauté, à laquelle celle de la Dame du Lac ni d’aucune autre ne lui semblait comparable ; en quoi certes il n’avait point tort, car la reine Guenièvre était la dame des dames et la fontaine de vaillance.

— Comment a nom ce beau valet ? demanda-t-elle.

— Dame, je ne sais, répondit Yvain. Je pense qu’il est du pays de Gaule, car il en a le parler.

Alors la reine prit le beau damoisel par la main et lui demanda où il était né. Mais lui, au toucher de cette douce main, il tressaille comme un homme qui s’éveille, et ne réplique mot.

— D’où êtes-vous ? reprend la reine.

Il la regarde et lui dit en soupirant qu’il ne sait d’où. Elle lui demande comme il a nom, et il répond qu’il ne sait comme. À cela, elle vit bien qu’il était tout ébahi et hors de lui-même ; et certes elle n’osait imaginer que ce fût à cause d’elle ; pourtant elle en avait quelque soupçon. Alors, pour ne pas le troubler davantage, et de crainte aussi que nul n’en pensât mal, elle se leva.

— Ce valet ne semble pas de grand sens, dit-elle, et, sage ou fol, il a été assez mal enseigné.

— Qui sait, dame, dit messire Yvain, s’il ne lui est pas défendu de révéler son nom et son pays ?

— Cela peut bien être, répondit-elle, mais si bas que le damoisel ne l’entendit pas.

Puis elle se retira dans ses chambres.