Plon-Nourrit et Cie (2p. 8-9).


III


Le damoisel, qui semblait au désespoir de la quitter, voulut la convoyer quelque temps. Quand ils eurent cheminé côte à côte, tristement, la distance d’un trait d’arc, elle rompit le silence et lui dit :

— Fils de Roi, il faut, donc nous séparer. Mais, auparavant, je veux que vous sachiez, vous que j’ai élevé, que je ne suis pas votre mère et que vous n’êtes pas mon fils. Votre lignée est des meilleures du monde ; et vous apprendrez un jour le nom de vos parents. Songez à vous rendre aussi parfait de cœur que vous l’êtes de corps, car ce serait grand dommage si en vous la prouesse ne valait pas la beauté. Demain soir, vous prierez le roi Artus de vous faire chevalier, et ce jour même, avant la nuit, vous quitterez son hôtel et vous irez errant par tous pays et cherchant aventures : car c’est ainsi que vous gagnerez louanges et valeur. Ne vous arrêtez en aucun lieu, ou le moins possible ; mais gardez d’y laisser quelque exploit à faire à ceux qui viendront après vous. Et si l’on vous demande qui vous êtes, répondez que vous ignorez votre propre nom.

Elle tira de son doigt un anneau qu’elle passa à celui du damoisel. Puis elle le recommanda à Dieu, en le baisant bien doucement, et elle lui dit encore :

— Beau Fils de Roi, écoutez ceci : vous mènerez à bien les plus périlleuses aventures, et celui qui achèvera celles que vous aurez laissées, il n’est pas encore de ce monde… Je vous en dirais davantage, mais mon cœur se serre et la parole me faut… Allez, allez à Dieu, le bon, le beau, le noble, le gracieux, le désiré, le mieux aimé !

Elle lui baisa encore la bouche, le visage et les deux yeux tendrement ; puis elle partit, si triste qu’elle n’eût su prononcer un mot de plus. Et le damoisel pleura en la voyant s’éloigner. Il courut accoler un à un les valets, les pucelles et les garçons ; après quoi il demeura avec les sommiers qui portaient son bagage et deux écuyers que la Dame du Lac lui avait laissés. Alors il se mit en devoir de rejoindre le roi.