XCVII.

Elles marchent d’un pas rapide, le long des murs. Elles sont pauvrement vêtues. Ce sont en général des femmes de quarante à cinquante ans, le front ceint d’un serre-tête à carreaux rouges, que dépassent des mèches de cheveux sales. La face est rougeâtre, l’œil cligne. Elles vont, regardant à leurs pieds. Les unes ont la main droite dans une poche ou dans le bâillement de leurs corsages ; les autres portent à la main une petite boîte de fer blanc, de ces boîtes où on porte le lait. Elles y mettent du pétrole. Quand elles passent devant un poste de lignards, elles sourient et saluent. Quand on leur parle, elles répondent : « Mon bon monsieur ! » Si la rue est solitaire, elles s’arrêtent, consultent un chiffon de papier qu’elles ont dans la main, s’arrêtent un instant devant un soupirail de cave, puis elles continuent leur chemin sans trop se presser. Une heure après, une maison est en flammes, dans la rue où elles ont passé. Paris les appelle les pétroleuses. On a vu, rue Truffault, une pétroleuse, prise en flagrant délit, tirer cinq ou six coups de revolver sur les soldats et tuer deux hommes avant d’être passée par les armes. On a vu, devant une porte cochère de la rue de Boulogne, tomber, percée de balles, une jeune fille ; quelque chose s’échappa de sa main et se brisa : c’était un flacon plein de pétrole. Quelquefois elles ont avec elles un petit garçon ou une petite fille à qui elles donnent la main. Dans ce cas, c’est l’enfant qui porte l’incendie dans sa poche, à côté d’une toupie.