XCV.

Ah ! certes, je n’avais plus d’illusion. Ce que vous aviez fait, messieurs de la Commune, m’avait éclairé sur votre valeur et sur la pureté de vos intentions. Vous voyant mentir, voler, tuer, je vous avais dit : « Vous êtes des menteurs, des pillards et des meurtriers ; » mais, en vérité, malgré le citoyen Félix Pyat, qui est lâche, et le citoyen Miot, qui est bête ; malgré Millière, qui a fait fusiller les réfractaires, et Philippe, qui a fait fermer les maisons de joie pour assurer une nombreuse clientèle à celle dont il est le patron dans le deuxième arrondissement ; malgré Dacosta, qui faisait cette farce d’aller dire aux Jésuites à la Conciergerie : « Attention ! on va vous fusiller dans une heure, » et, une heure après, leur disait : « J’ai réfléchi, ce sera pour demain ; » malgré Johannard, qui a fait passer par les armes un enfant de quinze ans, coupable d’avoir vendu un journal supprimé ; malgré Rigault, qui, en tapant sur la joue du fils de Chaudey, lui disait en riant : « Eh bien ! petit, c’est donc demain qu’on va fusiller papa ; » malgré tant de fous et d’énergumènes qui étaient la Commune de Paris, et qui, après plus d’extravagances qu’il n’en faut pour mettre un homme à Charenton et plus d’escroqueries qu’il n’en faut pour lui ouvrir les portes de Sainte-Pélagie, en étaient arrivés, de bassesse en bassesse, d’excès en excès, à faire de Paris — de Paris ! — un esclave épouvanté et morne de leur épouvantable pouvoir ; malgré tout enfin, je n’aurais pas pu croire que ces niais sinistres pourraient aller jusqu’à cet inconcevable attentat de brûler Paris après l’avoir ruiné. Érostrates de banlieue ! Sardanapales ivres de vitriol ! Ah ! pour vous engloutir, il vous fallait ce cratère, et, pour mourir, il vous fallait ce bûcher ! Au lieu de torches autour de votre convoi mortuaire, vous avez voulu les Tuileries en flammes, la bibliothèque du Louvre brûlée, le palais de la Légion d’honneur flambant, la rue Royale, longue fournaise où s’écroulent des murs, où des femmes sont enterrées vives dans les débris rouges et fumants, et la rue de Lille semblable à l’intérieur d’un Vésuve ! Il vous a plu que les familles fussent ruinées, grâce aux papiers évanouis dans le ministère des finances et dans la Caisse des dépôts et consignations incendiés ! En voyant le musée du Louvre demeuré intact et la grande bibliothèque préservée, vous avez dû frémir de rage. Comment ! Notre-Dame ne brûle pas encore ? la Sainte-Chapelle ne brûle pas ? N’avez-vous plus de pétrole ni de mèches incendiaires ? « Aux armes ! » ne suffit pas, criez : « Au feu ! » Consumez la cité entière, et, ensevelis sous ses ruines, vos restes méprisés pourront s’enorgueillir, comme le corps d’un avorton mort-né qui aurait l’Hymalaya pour sépulcre !

Ne dites pas : « Ce n’est pas nous qui avons fait cela. Le peuple s’est vengé. Nous n’y sommes pour rien. Nous sommes doux comme des agneaux. Ranvier n’écraserait pas une mouche. » Ne dites pas cela. Vous étiez sur le balcon des Tuileries, avec vos écharpes rouges, donnant des ordres. La populace, trompée par vous, n’a fait qu’obéir. Est-ce que toutes les circonstances de ce prodigieux attentat ne révèlent pas un plan conçu, élaboré, déterminé longtemps à l’avance ? Ne lisait-on pas, presque tous les jours, dans votre journal officiel, cette note : Les détenteurs de pétrole sont invités à faire immédiatement la déclaration des quantités de pétrole qu’ils ont en leur possession ? » N’a-t-on pas éteint, dans le quartier des Invalides, une mèche qui allait communiquer la flamme aux barils de poudre placés depuis longtemps dans les égouts ? Oui, ce qui a eu lieu, ce qui aura lieu encore, vous l’avez voulu. Si le désastre n’a pas été plus grand, c’est que, surpris par la brusque arrivée des troupes, vous n’avez pas eu le temps d’achever vos préparatifs. Oui, les coupables, c’est vous. C’est Eudes qui a distribué le pétrole aux pétroleuses. C’est Félix Pyat qui a tordu les mèches. C’est Tridon qui a dit : « Il faut avoir soin de ne pas laisser les fioles débouchées. » Le comité d’incendie public a bien fait son devoir. Ah ! lugubres criminels ! infâmes insensés ! Le ciel m’est témoin que mon cœur abhorre les représailles et s’est toujours senti incliné au pardon, mais, cette fois, quel châtiment serait assez grand pour excéder la justice, et quel cri de repentir pourriez-vous pousser, en tombant sous les balles, qui pût être entendu par Dieu ?