XCIV.

Au milieu de la nuit, je suis éveillé en sursaut. Ma vitre est toute rouge. J’ouvre la fenêtre. Tout le ciel, à gauche, est un pêle-mêle de sombre fumée et de lueurs sanglantes ; on dirait un immense remûment de monstres noirs, aux langues de feu : c’est l’incendie ! l’incendie de Paris ! Je sors à la hâte. Au coin de la rue de Trévise, une sentinelle me crie : « On ne passe pas ! » Je suis tellement troublé que je ne sais pas si ce factionnaire est un fédéré ou un soldat. Que faire ? où aller ? Malgré les balles qui sifflaient encore, il y a une heure, il y a des gens à toutes les croisées. « C’est le ministère des finances qui brûle ! c’est la rue Royale ! c’est le Louvre ! » Le Louvre ! J’ai peine à retenir un cri. En une minute, j’ai mesuré l’énormité du désastre. Ô chefs-d’œuvre sans nombre, dévorés, consumés, anéantis ! Les murs s’effondrent, les toiles se détachent des cadres et se recroquevillent. Les Noces de Cana brûlent ! Raphaël se tord dans l’horrible brasier. Léonard de Vinci n’est plus. Ah ! ceci était inattendu vraiment. et le sort nous a ménagé d’abominables surprises ! Mais non, ces bruits sont faux sans doute. Comment ces personnes, qui habitent dans le quartier où j’habite, sauraient-elles ce que je ne sais pas ? Au-dessus de nos têtes, pourtant, la nuit est rouge et noire. J’aspire une odeur étrange, pareille à celle d’une lampe à pétrole qu’on vient d’allumer. Ce mot : pétrole, me fait frémir. Une fois, très-distinctement, j’entends le bruit sourd d’une grande chose qui s’éboule et se brise. Ne pas pouvoir s’informer, connaître, savoir ! et autour de l’incendie, pendant que le jour, peu à peu, se lève, la canonnade tonne, la fusillade claque ; c’est un enfer qui a la mort pour ceinture. Devant moi, un coin de façade, tout blanchi de clartés, est traversé par des tirebouchons de fumée, reflets lointains de la combustion. Je m’enfuis. Je veux rentrer, me cacher, dormir, oublier. Dans ma chambre, à travers les rideaux blancs, jaillissent des éclairs. J’ai peur. Je regarde. Ce sont les lettres d’or d’une enseigne, en face de ma maison, à qui les flammes du ciel rouge arrachent des cris de lumière.