XCIII.

Le 23, au matin, après un combat de trois heures, la barricade de la place Clichy n’était pas encore enlevée. Cependant deux bataillions de la garde nationale des Batignolles avaient mis la crosse en l’air au début de l’attaque, et fraternisaient avec l’armée près de la place de la Mairie, à cent cinquante mètres de la lutte. Le pétillement des feux de peloton, l’explosion des bombes et le bruit des mitrailleuses remplissaient l’air, et l’odeur de la poudre commençait à prendre à la gorge ceux qui habitaient les alentours. Puis des cris affreux s’élevaient, provenant de blessures plus âpres, et les sifflements des projectiles qu’envoyaient les batteries de Montmartre passaient, rapidement, par-dessus les toits de toutes les rues environnantes. « Au-dessous, me dit l’habitant des Batignolles qui me communique ces détails, au-dessous, dans la ville, c’était comme un ouragan de tonnerres.  »

La charge battait, se mêlant, avec des sonneries de trompettes furieuses, à ce tumulte monstrueux, et, par intervalles, se perdait au fond des détonations.

Vers une heure et demie, cela diminua tout à coup. La barricade était prise. Les insurgés se repliaient sur La Chapelle et Belleville, en désordre ; la ligne se répandit dans l’avenue de Clichy comme un torrent, laissant derrière elle, sur les tas de pavés écrasés, un drapeau tricolore.

Çà et là, dans les rues, on fusillait. Rue Blanche, un coup de fusil partit d’un rez-de-chaussée ; l’homme fut pris et passé par les armes contre sa fenêtre. L’artillerie défilait par la rue Chaptal, vers Montmartre et La Chapelle. Il faisait un soleil brûlant ; on donnait à boire aux canons, pour les rafraîchir. Les jeunes gens qui rentraient étaient provisoirement faits prisonniers, car on craignait les enfants, le pétrole, les revolvers, les vengeances, le délire du sang. Un coup de fusil isolé tonnait quelquefois, aux environs, suivi, une minute après, de cinq ou six autres. Justice était faite.

Comme les quartiers de Belleville et de Clichy se désemplissaient de troupes, à quatre heures du soir, pendant un moment de silence, deux insurgés passèrent, rue Léonie, l’un devant l’autre, sur un trottoir. Celui qui marchait derrière prit son fusil et tira, au hasard, vers les fenêtres ; la détonation fit tressaillir, comme le bruit d’un obus, tant la rue était sonore ; on entendit un carreau se briser. L’insurgé qui marchait devant le tireur ne tourna même pas la tête ; ces hommes n’étaient déjà plus de la vie et semblaient devenus sourds.

Ce que l’on redoutait le plus, c’étaient les fusils à vent. On voyait tout à coup se dessiner un trou dans un mur, avec un petit bruit sec. Alors les officiers ajustaient leurs longues-vues ; le plus souvent on ne distinguait rien. Mais si une ombre disparaissait derrière un rideau ? le cri : « Fouillez cette maison ! » retentissait. On n’exécutait pas dans les appartements mêmes. On faisait sortir quelques habitants, et ceux-là ne rentraient plus.