LXXVII.

C’est à Saint-Lazare qu’on les a mises. Qui ? les religieuses de Picpus. On les a mises là, parce qu’on les a arrêtées ; mais pourquoi les a-t-on arrêtées ? C’est ce que M. Rigault lui-même ne pourrait pas expliquer clairement. Quelques-unes sont vieilles ; elles vivaient, recluses, depuis bien longtemps ; elles ont changé de cellule, et après avoir été les prisonnières de Dieu, elles sont les prisonnières du citoyen Mouton. Dans ce lieu abject, ces saintes femmes ! Victor Hugo a dit :

Saint-Lazare ! Il faudra broyer cette bâtisse.

Oui, plus tard, quand on aura le temps. Ce qui importe, c’est de renverser la colonne Vendôme et de démolir la Chapelle expiatoire. En attendant, elles sont tristes. Un de mes amis est allé les visiter : elles n’ont ni livres de prières, ni crucifix. On leur a pris jusqu’aux amulettes qu’elles portaient au cou. Mon Dieu ! vous, citoyens de la Commune, vous en parlez bien à votre aise. Vous êtes des esprits forts ! Vous vous souciez d’une croix autant qu’un poisson d’une pomme, et vous avez bien raison. Vous avez étudié, vous avez deviné, et vous vous dites le soir en regardant les étoiles : « Il n’y a pas plus de Dieu que sur la main ! » Mais, comprenez cela, ces pauvres religieuses, ce n’est pas la même chose. Elles n’ont pas lu les philosophes. Elles croient que le Père a créé le monde en six jours et que le Fils est mort sur la croix pour le salut du monde. Quand elles étaient libres — libres d’être captives à leur guise — elles priaient le matin, elles priaient le jour, elles priaient le soir, et ne s’interrompaient guère de cette occupation blâmable, j’en conviens, que pour enseigner à de pauvres petites filles qu’il est bon d’être vertueux, honnête, reconnaissant, et que le Ciel récompense les personnes qui font le bien. Voilà ce qu’elles faisaient, pauvres esprits simples ! Vous les avez mises à Saint-Lazare pour cela. Vous auriez dû choisir une autre prison, car enfin leur présence a pu être désagréable aux dames qui étaient là, avant elles, pour d’autres raisons. Mais, là ou ailleurs, elles ne se plaignent pas ; seulement elles voudraient un livre d’heures et un crucifix de bois. Allons, citoyen délégué à l’ex-préfecture, un bon mouvement, et à moins que l’avenir de la République ne doive être compromis par cette concession, donnez-leur un crucifix. Qu’est-ce qu’un crucifix ? deux morceaux de bois l’un sur l’autre. Il restera toujours assez de rotins dans la forêt pour le jour où la vengeance des honnêtes gens s’exercera sur votre dos obscène d’argousin !