LXVI.

« La révolution sociale ne pourrait aboutir qu’à un immense cataclysme, dont l’effet immédiat serait :

« De stériliser la terre ;

« D’enfermer la société dans une camisole de force ;

« Et, s’il était possible qu’un pareil état de choses se prolongeât seulement quelques semaines,

« De faire périr par une famine inopinée trois ou quatre millions d’hommes.

« Quand le gouvernement sera sans ressources, quand le pays sera sans production et sans commerce ;

« Quand Paris affamé, bloqué par les départements, ne payant plus, n’expédiant plus, restera sans arrivages ;

« Quand les ouvriers, démoralisés par la politique des clubs et le chômage des ateliers, chercheront à vivre n’importe comment ;

« Quand l’État requerra l’argenterie et les bijoux des citoyens pour les envoyer à la Monnaie ;

« Quand les perquisitions domiciliaires seront l’unique mode de recouvrement des impositions ;

« Quand les bandes affamées, parcourant le pays, organiseront la maraude ;

« Quand le paysan, le fusil chargé, gardant sa récolte, abandonnera sa culture ;

« Quand la première gerbe aura été pillée, la première maison forcée, la première église profanée, la première torche allumée, la première femme violée ;

« Quand le premier sang aura été répandu ;

« Quand la première tête sera tombée ;

« Quand l’abomination de la désolation sera par toute la France,

« Oh ! alors, vous saurez ce que c’est qu’une révolution sociale :

« Une multitude déchaînée, armée, ivre de vengeance et de fureur ;

« Des piques, des soldats, des salons nus, des couperets et des marteaux ;

« La cité morne et silencieuse ; la police au foyer de famille, les opinions suspectées, les paroles écoutées, les larmes observées, les soupirs comptés, le silence épié, l’espionnage et les dénonciations ;

« Les réquisitions inexorables, les emprunts forcés et progressifs, le papier-monnaie déprécié ;

« La guerre civile et l’étranger sur les frontières ;

« Les proconsulats impitoyables, un comité suprême, au cœur d’airain.

« Et voilà le fruit de la révolution dite démocratique et sociale. »

Qui a écrit cette admirable page ? Proudhon.

Prenez pitié de la France, juste Dieu ! car voilà où nous en sommes.